Les Doors ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils ne jouent pas aux « Doors ». Dire cela, c’est avant tout définir les Doors par le prisme de l’histoire de Morrison, celle d’un fils d’officier, apprenti metteur en scène sans réelle envergure et aspirant poète souvent méprisé. Coincé entre ces deux ambitions insatisfaites, Jim Morrison nourrit l’idée de créer le véhicule acceptable, si ce n’est idéal, pour lancer sa carrière de poète : un groupe de rock. Il a déjà quelques chansons dans ses bagages de faux freak. Pour cela, il choisit de s’installer en Californie, à L.A., où il sent le vent de la révolution souffler. Il avait déjà fait quelques allers-retours dans ce petit coin de paradis, vivant un temps avec ses parents à San Diego. Au cœur de la cité des Anges, il fait une rencontre qui changer le cours de sa vie, du moins lui donner une incarnation : Ray Manzarek. C’est sur la plage de Venice que les deux esprits créatifs scellent le destin des futurs Doors.
On connaît la suite. Une série de performances live au Whisky a Go Go, une signature avec Elektra, un premier album fondateur mis en boîte en quelques jours, avec Paul Rothschild qui, s’il faut en croire Oliver Stone, est né pour les produire. Les Doors goûtent au succès immédiat, celui qui transforme de parfaits inconnus en rock stars, enfin Morrison qui, au premier plan, irradie de splendeur gréco-latine. Il faut dire que le jeune homme a pris soin de cultiver son image et de bâtir son propre mythe, entre références littéraires appuyées et mensonges éhontés. Strange Days arrive dans la foulée de The Doors et, malgré les morceaux bien dans la matrice doorsienne (Love Me Two Times, Moonlight Drive, When the Music's Over), certains titres laissent entrevoir une autre facette du groupe, délicate et romantique, qui donnera sa pleine mesure sur leur troisième album, le mal nommé Waiting for the Sun (ladite chanson apparaissant sur le cinquième LP). S’il marque un début de rupture d’idylle avec la critique – pas avec le public, en témoigne leur tube Hello, I love you, numéro un des charts –, Waiting for the Sun fascine à l’image de sa pochette, montrant le groupe nonchalamment photographié au lever ou au couchant, on ne sait très bien, dans une ambiance mélancolique que reflètent nombre de chansons du disque.
En effet, d’un ensemble resserré de onze chansons, l’histoire aura retenu le tourbillonnant Not to touch the Earth, le séditieux The Unknown Soldier et Five to One que l’on retrouve dans toutes les tracklists de leurs concerts. À côté, un peu en marge, on découvre des chansons moins évidentes mais ô combien touchantes. Sortant des chemins battus en termes d’arrangements, Love Street étonne par son caractère aérien, Morrison y interprétant des paroles au fond assez simples au pouvoir intact (« Summer sunday and a year »). Summer's almost gone pourrait en être la chanson miroir, encore plus alanguie, dépouillée de tout artifice poétique, enrobée dans son motif d’orgue lointainement bouillonnant, enluminé de piano, entre ballade pop et blues en demi-teinte. Morceau d’autant plus merveilleux qu’il fait partie des toutes premières chansons écrites par Morrison en 65 et chantées à Manzarek à Venice Beach. Wintertime Lovesurgit avec ce son d’orgue si typique et son clavecin chantourné, merveilleux de romantisme urgent et triomphant.
Face B, les Doors sortent carrément de leur zone de confort avec Spanish Caravan, même si Robbie Krieger y nage comme un poisson dans l’eau. Il reprend le motif de Asturias de Isaac Albeniz pour composer une formidable chanson, typiquement psychédélique tout en conservant son âme voyageuse. Yes, The River knows demeure sans doute la chanson la plus éloignée de l’univers doorsien et la plus belle d’un album dont les secrets cachés continuent de nous hanter. Ici, la magie du jazz se marie avec la beauté de la pop, les musiciens sont en symbiose, Morrison chante avec sincérité, délaissant ses habits de poète bouffon. Le solo de Krieger est, comme à son habitude, ondoyant et habité, sans esbroufe stylistique. Sans parler de ce final impérial où quelques notes de piano remplacent le refrain. Du grand art, sans en dire plus.
Ne laissons pas entendre que les titres non cités ne sont pas dignes d’intérêt, c’est faux. Mais on apprécie quand le groupe se fait l’interprète de ses chansons, oubliant dès lors les effets de mise en scène tapageurs qui avaient fait, à raison, son succès. Rappelons qu’en 1967, la concurrence était rude et qu’il convenait de frapper fort, ce que les Doors firent avec Break on through, Light my fire et The end. On retrouvera sur Morrison Hotel des compositions simplissimes dans la veine de celles-ci, on pense bien sûr à Blue Sunday et Indian Summer. Pas besoin de chercher trop longtemps le soleil quand il pleut dans vos mains un peu de son or.
The Doors, Waiting for the Sun (Elektra Records)
https://www.youtube.com/watch?v=kknhRBub3bE
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