Nous en avons tous croisés à l’époque lointaine de notre jeunesse. Les bons élèves. Ces jeunes enfants doués de toutes les qualités, sauf de fantaisie. Ils connaissent leurs leçons avant tout le monde, lèvent la main en permanence, ont réponse à tout. Pire, ils sont propres sur eux, bien coiffés, irréprochables. Jamais ils ne donnent envie de se rapprocher d’eux. C’est peu dire que ces premiers de la classe ont leurs équivalents dans le domaine des arts, quels qu’ils soient, et y compris celui de la pop, genre musical où le respect des sacro-saintes règles n’interdit pas quelques contournements par les chemins de la joyeuse transgression. Les Lemon Twigs font figure de bons élèves et leurs productions ont l’apparence des créations scolaires qui finiraient par vous faire bâiller.
Ce sentiment de gentille lassitude, on pourrait le ressentir à l’écoute de Till the morning, premier album de la moitié de fratrie D’Addario, l’aîné en l’occurrence, Brian de son prénom. L’équation musicale écrite, jouée et produite par Brian – accompagné de son frère – ne se résout pas tout de suite. On tourne autour des chansons comme le monolithe de 2001. Bien qu’abordable, la pop badine, parfois orchestrée, telle qu’on la pratiquait durant les glorieuses années 60, nous apparaît très sage. Les compositions ont la froideur des objets trop parfaits. À force de bien faire, voire de trop bien faire, le résultat semble prévisible, sans charme, sans la profondeur qui fait la marque des grandes compositions, celles que l’on ne fait pas que retenir, que l’on conserve précieusement dans un coin de sa mémoire pour les faire ressurgir à horaires réguliers. Il faut dire que Brian, seul ou avec son cadet, maîtrise un savoir-faire qu’on croyait perdu et avec l’insolence de la jeunesse, détail qui agace bien souvent les détracteurs du groupe. On les qualifie souvent, injustement, de faiseurs, de suiveurs, de pâles reproducteurs d’un art dont les maîtres furent les Beatles, les Kinks, les Byrds et tant d’autres héros. Il se trouve que les deux frères ont grandi avec. Bien plus que de simples références, ces groupes et leurs chansons ont façonné un univers mental qui ne les a plus jamais quittés.
Revenons à Till the morning. Chacune des onze chansons nous semble donc extrêmement lisible. On distingue très nettement tout. L’ordonnancement couplet-refrain, l’arrivée attendu du pont, le retour du refrain et le final, les éléments constitutifs sont bien présents, posés dans l’ordre avec pour seule folie de ressusciter une époque (et parfois avouons-le tel ou tel groupe, nous le verrons plus bas). Et pourtant, cette science-là est implacable. Sans être le chef-d’œuvre que l’on n’attendait plus, Till the morning trace son chemin dans les esprits et de manière presque perfide. Ce qui apparaissait comme des chansons scolaires finit par émouvoir, par nous faire tendre l’oreille et serrer le cœur. Ainsi en est-il du trio de départ Till the morning, Song of everyone, Nothing on my mind. Quand la première fait parfois songer aux Kinks par ses accents triomphants dont la répétition judicieusement trouvée emporte tout sur son passage, la seconde s’affranchit de tout modèle pour nous toucher avec une économie d’effets. Si la troisième rappelle les Bee Gees de l’année 67, son enthousiasme et son solo cheap convertissent les plus réfractaires. One day i’m coming home, riche de ses inspirations country, nous emmène du côté de chez George Harrison, dans son jardin immortalisé sur la pochette d’All things must pass et ça passe, mieux, cela fonctionne au-delà de tout. Only to ease my mind conclut ses premières mi-temps dans la grâce. Que demander de plus ?
Réponse avec Brian qui nous comble avec le redoutable Flash in the Pan. Ses riffs de guitare, petit twist placé à la fin du refrain, confèrent à la chanson sa singularité. La force de ces jeunes pousses déjà confirmées, c’est cette aisance qu’ils affichent partout, en studio comme sur scène, guitare en mains ou derrière un piano comme lors du solennel Company. Seule collaboration en termes d’écriture, This summer arrive à point nommé pour briser le rythme trop fluide de l’album et préparer le terrain à la suite. C’est d’abord What you are is beautiful, ballade sucrée qu’affectionne Brian, véritable cœur d’artichaut pop. Puis vient Useless Tears, le chef-d’œuvre du disque, power ballad du disque dont les archets viennent fendre l’armure de perfection. Tout y est merveilleux, la composition, la production et l’interprétation. Le point final arrive (trop vite) et il s’appelle Spirit without a home. Édifice à la clarté de cathédrale, la chanson va son chemin tout au long de cinq minutes et vingt-huit secondes impériales.
À l’arrivée, on se surprend à le réécouter, à fredonner, mieux, entonner ses glorieux refrains. Par quel sortilège Brian (et son frère) parvient à ce résultat ? Sans jamais lasser, en se répétant parfois certes, mais la répétition dans la beauté vaut mieux que la perpétuation de la médiocrité.
Brian D’Addario, Till the morning (Headstack Records)
https://brianpauldaddario.bandcamp.com/album/till-the-morning