Pompidou, les années prog

par Adehoum Arbane  le 04.06.2024  dans la catégorie C'était mieux avant

Et si on ne devait retenir que cela ? Avec un septennat tronqué, de 1969 à 1974, Pompidou aura été le président des années progressives. Surtout, cet âge d’or musical met malgré lui en lumière le legs pompidolien : un savant mélange entre modernité et enracinement, entre progrès et préservation. D’ailleurs, l’année 69, comme commencement de son mandat, n’est à ce titre pas un hasard. Année charnière refermant la porte des florissantes sixties et ouvrant celles des industrieuses seventies. 69 s’avère aussi l’acte de naissance, en fait le second, du rock progressif avec la sortie de In the court of the Crimson King en octobre. Un album de naissance au couchant d’une année, il fallait oser. Ce chef-d’œuvre indicible enregistré au début de l’été, quelques semaines après la victoire de Pompidou le 15 juin, possède des accents prophétiques. Profondément de son temps, il annonce toutes les mutations à venir. Viscéralement mélancolique, il précède la disparition du général de Gaulle, le 9 novembre 1970, et à travers lui jette un regard désabusé sur ce dernier bouquet d’années. Mais débutons réellement cette liste miroir avec… 

On the Threshold of a Dream des Moody Blues. Moins grandiose qu’In The Court, il convient mieux au tempérament de Pompidou, personnage ombrageux mais au fond bonhomme. Bien qu’ils aient débuté leur carrière avec un album réellement symphonique, les Moody Blues ont su rester à hauteur d’homme. Sans doute le choix de leur patronyme, rappelant qu’avant la pop il y eut le blues, n’est-il pas anodin. L’ancrage mélodique justifie l’analogie. Il y a une forme de simplicité chez les Moodies qui ressemble beaucoup à ce que fut Pompidou tout au long de sa vie, d’autant qu’elle ne leur interdit jamais d’innover. Et c’est sans doute On the Threshold of a Dream qui incarne le mieux cet axiome. Avec sa longue suite stellaire The Dream-Have You Heard (Part 1)-Voyage-Have You Heard (Part 2), ce disque file un comme un train d’enfer, tout en faisant escale à heures régulières dans des régions toujours hospitalières et paisibles. On the Threshold of a Dream, album décentralisé ! Surtout, il y a cette référence à l’écrit sous sa forme la plus personnelle et qu’affectionnait tant Pompidou, qui ne fut pas vraiment un écrivain, mais un homme de lettres au sens pur du terme. Dear Diary annonce l’introduction de l’Anthologie, écrite chez lui, dans l’intimité du bureau, voire au lit. Lazy Day chantait alors d’une voix traînante le flûtiste Ray Thomas. 

Passons à 1970. C’est la première année du mandat où Pompidou se voit affranchi de la figure tutélaire gaullienne. Le général s’est retiré à Colombey. Il mourra dans sa demeure de la Boisserie. Pour faire oublier Charles le Géant, Pompidou réforme à tour de bras. Promulgation du SMIC, lancement de l’Aérospatiale, création du ministère de l’Environnement. Cette vision écologique qui s’accommode aussi du progrès convient à merveille à la culture de Pompidou, qui trouve ses racines dans son Cantal natal. Tout dans son visage rond et bienveillant, auréolé de facétieux sourcils, raconte cette passion pour le pays profond. Pompidou, un gentil géant, moins que de Gaulle (un mètre quatre-vingt-un tout de même),  à l’image de celui qui s’affiche sur la pochette dépliée du premier Gentle Giant. Amateur de folk médiéval, le groupe anglais sait regarder l’horizon, c’est-à-dire l’avenir du genre progressif avec ses longues suites complexes, ses ruptures de rythme incongrues, ses effets de mixage encore imprégnés du psychédélisme de la précédente décennie. Chez Gentle Giant, on découvre aussi une musique terrienne, rurale bien que complexe, avec le jazz dans le viseur, comme pour signifier que les tentations de la ville lui vont aussi. 

La ville, tenez ! En 1971, elle s’inscrit à nouveau au cœur de l’action du Président. En matière d’urbanisme, Pompidou fait preuve de vista. S’il s’inscrit dans son époque avec la construction des grands ensembles, il en limite la hauteur dans les villes de petite et moyenne importance et impose même un pourcentage minimal de maisons individuelles, le tout résumé dans la circulaire “tours et barres” du 30 novembre 1971. Sur la voiture, il affirme qu’elle “existe, il faut s'en accommoder et il s'agit d'adapter Paris à la fois à la vie des Parisiens et aux nécessités de l'automobile à condition que les automobilistes veuillent bien se discipline”. Fin 70, début 71, Pompidou lance 100 mesures pour l’environnement. Ses mots empruntent volontiers à l’imaginaire du troisième album de Caravan, lui aussi paru en 71, In the Land of Grey and Pink. Pompidou écrit : “… Que soient protégées nos côtes, nos plages, nos forêts et partout les arbres, que l’espace rural soit préservé pour la vie des agriculteurs et le repos des citadins, en un mot que la civilisation industrielle s’insère dans la nature sans la défigurer et sans la détruire”. 

1972. L’année faste du progressif, pas tant pour la quantité d’albums mais pour l’importance de certains. Si Genesis publie Foxtrot dont Supper’s Ready deviendra l’un des chevaux de bataille en live, Yes livre avec le court mais dense Close to the edge un premier chef-d’œuvre incontournable. Cet album est à l’image du turbotrain expérimental TGV 001 : il propulse le groupe en avant, vers une carrière que ne s’arrêtera pas de sitôt. Premier essai le 20 mars pour le TGV 001. Quelques jours plus tard, Yes entre en studio, débutant les sessions d’enregistrement qui dureront trois mois. Pour trois morceaux seulement dont un, le morceau-titre, qui occupe la première face. Le 8 septembre, l’album sort. Il se hisse à la quatrième place des meilleurs albums. Le 29 septembre, le TGV 001 atteint un nouveau record de vitesse à 314 km/heure. Comme si ces deux créations infernales se livraient une âpre concurrence !  

Année du premier choc pétrolier que la France prospère de Pompidou subit de plein fouet, 1973 incarne celle d’un rapprochement entre un “Vieux Continent”, l’Europe, et une vieille monarchie, la Grande-Bretagne. Le 1er janvier, la Perfide Albion fait son entrée dans la CEE, il s’agit d’ailleurs du premier élargissement de ce marché commun pour lequel Pompidou et son homologue, le Premier ministre Edward Heath, ont œuvré. La même année, le groupe progressif Genesis sort son album le plus accompli, le bien nommé Selling England by the Pound. Emprunté au Parti travailliste, ce slogan ainsi détourné illustrait le déclin de la culture populaire anglaise et l’américanisation de la société. Or, la relation entre Pompidou et Heath exista paradoxalement du fait de l’absence d’un dialogue anglo-américain entre Heath et Nixon. Pompidou aura exaucé le vœu de Peter Gabriel en contribuant à ramener l’Angleterre dans le giron européen plutôt que de la vendre à la coupe aux États-Unis d’Amérique. Pour le détail, l’album développe des thèmes éminemment romantiques, voire bucoliques, tout en parlant de l’Angleterre actuel, sujets et préoccupations qui étaient chères au président Pompidou. 

De 1974, on pourrait retenir la décision du gouvernement, sous l’impulsion présidentielle, de développer les investissements dans le programme nucléaire afin d’assurer l’indépendance énergétique de la France. Déjà la question se posait, qui nous taraude encore aujourd’hui. 74, ce sera aussi le début de la construction de la première ligne à grande vitesse Paris-Lyon. De 74, les Français gardent en mémoire ce terrible 2 avril à 21h. On leur annonce le décès du président. L’été de la même année, fin juin, King Crimson entre en studio pour enregistrer Red, dernier volet de sa trilogie débutée avec Lark’s Tongues in Aspic. Si Red ne fait pas référence au dernier voyage du président moribond, en URSS, pas plus qu’il n’évoque la maladie de Waldenström dont souffrait Georges Pompidou (qui se manifestait sur la fin par des hémorragies importantes), l’album s’en fait pourtant comme l’étrange et mélancolique écho. La puissance solennelle qui traverse Starless de la première à la dernière seconde se veut le brillant point final d’un âge d’or musical fait de classicisme et de progrès. Comme le furent les années Pompidou qui survécurent cependant à leur principal acteur. Comme le rock progressif qui continue d’inspirer les âmes et de faire battre les cœurs. 

 

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