Klaatu, espérance

par Adehoum Arbane  le 28.05.2024  dans la catégorie C'était mieux avant

Le mystère chrétien, un pilier du catholicisme. C’est la vérité inaccessible à la raison mais que Dieu donne à connaître en se révélant à travers les Évangiles et le sacrement de l’eucharistie. La pop possède aussi son mystère, voire ses mystères et ses propres évangiles, l’eucharistie s’apparentant à l’écoute des albums rappelant la symbolique de l’Ostie, dans un format plus conséquent. Le mystère pop, est-ce la beauté inattendue s’échappant des microsillons, est-ce le talent que l’on perçoit dans le labeur de la production, est-ce encore autre chose ? Une sorte de mythologie dont les secrets n’auraient pas encore trouvé leur élucidation ? Il y a un peu de cette idée dans le brouillard qui entoure Klaatu, énigmatique formation canadienne qui vécut une courte destinée discographique au mitan des seventies et à cheval sur les eighties. De 1976 à 1981, avec un apogée en 77-78 et deux albums, Hope et Sir Army Suit. C’est le premier qui nous intéresse ici. 

Pourquoi énigmatique ? Klaatu a surgi de nulle part sans prendre le temps de s’annoncer. Au verso de leur premier disque, aucun crédit, aucun line-up, tout juste comprend-t-on qu’il s’agit d’un trio. Sur la sous-pochette qui enveloppe la précieuse galette, les paroles s’étalent des deux côtés, ni plus, ni moins. À l’écoute de leurs chansons, critique et public s’emballent. On soupçonne le groupe d’être le prête-nom d’un projet de reformation des Beatles. L’idée, au départ farfelue, s’installe, le doute se nourrissant d’une absence providentielle de promotion. Pas de noms, pas de photos. Juste les mélodies. Le mystère. L’ostie que l’on avale, dans tous les sens du terme, sans trop savoir ce qu’il adviendra ou en restera. Le second disque ne dissipe pas cette douce vapeur d’inconnu. Tout juste le groupe en rajoute-t-il une couche avec sa pochette hyper conceptuelle, très progressive dans l’inspiration et préfigurant, avec quelques années d’avance, l’imaginaire hard rock-metal des formations anglaises comme Angel Witch. La nature de la musique, ancrée dans la pop mais volontairement ouverte sur autre chose, brouille d’autant plus le message de… Klaatu – quel patronyme ! Et le titre du disque, entre espoir et espérance, qui joue sur l’ambiguïté, laisse la porte grande ouverte à la rumeur : sont-ce les Fab amputés de l’un de leurs membres ? 

Peu importe au fond, car le disque enregistré sur une année, montre une ambition démesurée, parfois extrême, allant là où 10cc n’avait pas encore été. Et les Beatles, n’en parlons pas : Abbey Road fait office de jam album à côté. Derrière l’étiquette “prog”, la sophistication et la diversité des idées surprend. Relativement court – huit morceaux, quarante minutes au compteur –, Hope sidère littéralement, alors que son entame rassure. En effet, We’re off you know s’avère, malgré son introduction quelque peu étrange, une superbe chanson pop très beatlesienne et seules les voix "trafiquées" pourraient nous convaincre du contraire. On se croirait dans un Sgt. Pepper’s futuriste. Quant au texte, “Our journey begins…”, il éclaire sur la nature conceptuelle de l’œuvre. Hope sera donc un voyage. Madman est la première incursion dans un style qui s’éloignerait sciemment du credo beatlesien, même si le couplet séduit par son immédiate splendeur, comme une aurore musicale. La guitare électrique, très dans l’air du temps hard, nous détourne des motifs plus sages de Harrison. On entend dans ce Madman une ambition stadium. Around the universe in eighty days rompt ce moment de folie par la grâce. Ce tour de l’univers pop en quatre-vingt jours s’apparente à une majestueuse power ballad dans la pure tradition du genre, traversée par une magistrale mélodie jouée au piano. On ne pouvait imaginer plus belle et longue entame au morceau de fin de face, le très baroque Long live Politzania où le couplet délicat au clavecin enchaîne sur un refrain venu de nulle part. Tout au long des neuf minutes, le trio multiplie les fantaisies et les références, comme s’il avait voulu transposer toute l’exubérance monty-pythonienne en musique. 

Face B. Après un tel déballage, Klaatu prend des accents génésiens sur The loneliest of creatures, sans se départir de son goût pour le spectaculaire. Il y a de la générosité dans cet album, une générosité crémeuse, en strates : on ajoute, on doublonne, on chante en canon, on sort la panoplie de claviers et d’instruments exotiques comme ce sitar électrique dont on peine à deviner où il intervient tant l’épaisse couche musicale nous semble insondable. Prelude, par son titre, augure d’une pause, trait d’union entre deux morceaux mais son exubérance joyeuse, communicative vous donne envie de faire du “air directing” face à un orchestre invisible. So said the lighthouse keeper lui succède, non sans trembler, tant le final du précédent fut grandiose. De la première à la dernière seconde, la chanson résiste puis s’impose comme une suite au moins aussi incroyable, si ce n’est plus. Une fresque à part entière carillonnant comme une cathédrale, vibrant à chaque instant sans jamais trahir son thème. Et d’ouvrir sur Hope, morceau titre et de fermeture. Délicate mission que de clore un album qui avait à ce point ébloui. Ici, le mystère fait place au sacré. Tout en revenant à la meilleure pop, celle de l’écriture, des arrangements qui nous tirent des larmes d’évidence. Oui, cette musique est belle et nous semblons la connaître par cœur, de la même manière que nous connaissions si intimement les quatre de Liverpool. 

À la fin, non pas du disque mais après bon nombre d’années, on apprend l’identité des musiciens : John Woloschuk, Dee Long et Terry Draper. Quant à Klaatu, il s’agit d’un robot extraterrestre dans le film de 1951, Le jour où la Terre s’arrêta, ainsi qu’un personnage de Marvel Comics. Qu’avons-nous trouvé après cette aventure ? Pour paraphraser Henry Jones : l’illumination.  

Klaatu, Hope (Daffodil Records-Capitol)

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https://www.youtube.com/watch?v=pVX9Lbv7Lfo

 

 

 

 


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