Gentle Giant, piece of my heart

par Adehoum Arbane  le 23.04.2024  dans la catégorie C'était mieux avant

L’esprit de synthèse. Toujours. Les membres du groupe Gentle Giant seraient-ils les François Hollande du prog rock ? Derrière la citation pataude, en forme de culbuto critique, l’adjectif n’aura jamais été aussi pertinent. Contextualisons. En ce second mitant des seventies, le rock progressif semble vivre ses dernières heures. On ne sait pas encore à ce moment précis que seuls Yes et Genesis sauront se réinventer, progressivement s’entend. Attendu que Hammill demeure un électron libre (tout comme Wyatt) et que l’école de Canterbury a tiré ses ultimes cartouches avec National Health. Ne parlons même pas de Gentle Giant dont l’axe rabelaisien des débuts ne pouvait annoncer une forme de résilience. D’autant qu’en 76-77, les petites frappes hirsutes du punk viennent rebattre et les joues et les cartes. Ça pique donc du côté des dinosaures progressistes. 

Et pourtant. Avec The Missing Piece, le Gentil Géant sort un album court mais intense à plus d’un titre. Et synthétique d’un style qui leur est propre et d’un genre qui les a précédés et leur survivra, la pop. Conceptuel un jour, conceptuel toujours, Gentle Giant va construire son disque de manière intellectualisée. Cela commence par cette pochette, assez sobre, assez belle dont le vert tendre rappellerait presque Close to the Edge. Une pièce de puzzle manque et donne ainsi au disque son titre. Au-dessus, se détache subtilement dans une typographie légère, toute de minuscule vêtue, le nom du groupe. Modestie bienvenue. Cela continue sur les deux faces, relativement courtes, l’œuvre n’excédant pas au total les trente-six minutes. Sur la première face, le groupe apparaît précocement pop. Précocement car on ne l’avait que rarement vu sur ce terrain-là. Ainsi démarre en trombe le tube Two weeks in Spain qui a le bon goût de débuter par le refrain, pied-de-nez évident à la bruyante concurrence. Après cette entame des plus efficaces, I’m turning around enfonce le clou, non pas que la chanson soit aussi séduisante, mais elle préfigure ce que Genesis réduit à l’état de trio produira sur Duke. Si la voix n’était celle de Phil, on serait vite abusé. Petit faux pas qui sera vite rattrapé, Betcha thought we couldn’t do it tente de renouer avec l’énergie de Two weeks in Spain. Mais sa tonalité rockisante dénote trop pour emporter l’adhésion. Pas grave, le groupe va se rattraper avec le supertrampien Who do you think you are? qui séduit d’emblée par ses couleurs, sa voix,  sa rythmique, ce qui ne l’empêche pas de nous surprendre sur le refrain. Idem pour Mountain time qui, malgré un riff bluesy, charme par ses motifs de piano ascendant, parfait marchepied menant au refrain. 

Face B. Déjà. Heureuse surprise s’agissant d’un groupe prog. C’est là que Gentle Giant se la joue petit malin, pas vraiment nain dans le jardin de la folk. As old as you’re young retrouve justement la veine médiévalisante du groupe dans un format plus immédiat, léger, sautillant. Surtout, son titre joue habilement avec notre patience. As old as you’re young, même vieux, le groupe semble rajeunir que c’en est un plaisir ! Deuxième idée de génie, ce titre à tiroirs sémantiques ouvre comme il se doit la pièce maîtresse de l’album, comme on disait naguère. Longue de sept minutes et vingt-deux secondes, Memories of old days cultive ce délicieux parfum de grimoire nostalgique, sans en faire des caisses, avec quelques arpèges et deux ou trois touches de synthé. Et ce regard dans le rétro n’en est que plus touchant. Pudique, magnifiquement chanté par Derek Shulman, sorte de Harvey Keitel barbu, petit et hirsute, le morceau se voit ponctué de discrètes notes d’orgue et l’on discerne sur la fin des bruits de cour d’école qui renvoient à School de Supertramp et, deux ans avant, à The Wall de Pink Floyd. Après un tel morceau de bravoure, baroud d’honneur prog, le géant vieillissant nous surprend encore avec Winning qui sonne un peu comme du Men At Work. Et For Nobody de refermer ce disque de façon flamboyante, avec ce riff en tourbillon et ces variations de notes descendantes et ascendantes propres au genre. Magnifique ouvrage vocal, par moments a cappella, marque fabrique du groupe, constituant un éblouissant point final.

Il y aura deux suites à ce grandiose album, le bien nommé Giant for a Day! (quelle élégance !) et Civilian, manière de dire à quel point le groupe aura écrit les pages les plus délicates de l’histoire du prog rock. Il est vrai, on sera tenté de ne garder que les quatre premiers disques, les plus inventifs, sans être trop bavards, mais on sauvera malgré tout cette pièce manquante qui justement manquait. Pas par pitié, par esprit de connivence ou par paresse, mais parce qu’elle constitue le brillant résumé d’une discographie en marge, à la fois savante, virtuose et toujours mélodique. 

Gentle Giant, The Missing Piece (1977, Chrysalis)

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https://www.youtube.com/watch?v=TWvcxGMf1eU

 

 

 

 

 

 


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