Plantoid, power plant

par Adehoum Arbane  le 05.03.2024  dans la catégorie A new disque in town

2024. Une date, du moins, une temporalité mainte fois citée dans les récits de science-fiction. Alors imaginez qu’en 2024 on produise des films muets ou que l’on retourne à la versification classique, au mythique et antique alexandrin. Imaginez un art pictural fait de scènes de chasse, de ruines romaines oubliées dans un foisonnant écrin de verdure. Et enregistrer un disque progressif ! Non ? Vous n’y pensez pas. Le rock progressif ce vieux truc poussiéreux né dans cette lointaine décennie soixante-dix où nos parents, voire nos grands-parents arboraient d’inélégants pattes d’éléphant, portaient le cheveux long, parfois sale. Au placard, les doubles guitares, les murs de claviers, les dispositifs scéniques à deux batteurs, les ambitions symphoniques. Et pourtant…

Et pourtant le rock progressif a survécu. Il aura traversé, goguenard, la guérilla punk sans prendre de balle perdue, encore que, mais pas en nombre suffisant pour l’envoyer dans la tombe. Il aura vécu une seconde vie, hélas pas la meilleure, durant la décennie 80. Il se sera faufilé tout au long des 90s, se déguisant en un autre pour recouvrer une once de respectabilité, on pense ici à Radiohead. Enfin, en plus de la troupe désunie des vétérans toujours debout, une nouvelle génération se sera levée, méritante mais pas toujours intéressante. Le Prog qui avait été une musique taillée pour le stade s’en est retournée à la (musique de) niche. Jusqu’à l’année 2024 donc. Et au premier album de Plantoid, étrange patronyme d’un groupe qui ne l’est pas moins. Plantoid, la marque apparait peu engageante. Quant à la formation qui se cache derrière, permettez-nous de douter. Un quatuor jeune, des visages avenants mais qui nous conduiraient un peu trop vite du côté de l’indie pop anglaise si on n’y prenait pas garde, si l’on décidait ne pas donner suite. De reposer le disque dans son bac. Or nous ne sommes pas sur ce continent bien connu. Avec comme visuel de pochette un tableau éminemment Thorgalien montrant une plante géante qui prend les formes d’un vaisseau spatial, le ton est donné. Et le premier morceau de la face A, long de six minutes, de donner le coup d’envoi d’une musique haletante qui se voudrait prog mais qui ne l’est pas totalement. Et c’est là son charme, sa force. Is That You? qui ouvre ce premier album emprunte au genre ses principaux codes : longueur étirée, ruptures de rythmes, virtuosité évidente. C’est une lente montée vers le ciel, sauf qu’ici le ciel s’échafaudant en strates, la progression nous apparaît limpide. Plus court, volontiers hispanisant, Pressure propulse le disque. Cela faisait une éternité d’ennui qu’on n’avait pas entendu une guitare sonner ainsi, multipliant les lignes. Trois petites minutes passent ici comme une épuisante odyssée, aussi nécessaire qu’une transe pour s’affranchir de notre triste condition. Modulator démarre sur un rythme plus cool, voire languide. C’est là l’un des talents de Plantoid, de varier les climats, de mettre dans leur prog qui n’en est pas, du jazz, de la bossa, une once de pop (tout cela reste mélodique), sans avoir à convier (plus que de raison) des kilomètres de moog, de synthé, des panaches de mellotron défilant, immuables, dans le ciel de leurs compositions. Dispositif resserré, musique libérée. Tel sera leur crédo. 

Cette première face se termine efficacement sur les courts It's Not Real et Dog's Life. Là encore, l’implacable rythmique habillement tressée accorde suffisamment d’espace, et s’en est paradoxal, aux autres instruments et à la voix de Chloe Coyne, une Northette à elle toute seule. Son frère Tom gratifie les titres d’un jeu tantôt fluide, tantôt nerveux comme une liane sauvage qui viendrait s’enserrer tout autour de vous. La face B retrouve des accents paisibles avec Only When I'm Thinking, délicatement constellé de quelques effets de claviers, et de Wander/Wonder dont la durée permet d’explorer des aspects différents de leur musique, par moment très Hatfieldienne, lorgnant parfois vers le Zappa des mid-seventies. Le groupe semble se réinventer sur chaque morceau, rock et frénétique sur Insomniac (Don't Worry), martial et dramatique sur G.Y. Drift, pop et rêveur sur l’étonnant final de Softly Speaking. Manière de dire qu’ils défricheront sans aucun doute d’autres territoires sur leur prochain album auquel nous songeons déjà. 

Trente-neuf minutes. C’est beaucoup et bien peu pour un disque qui ambitionne de réveiller la belle endormie progressive. En évitant le choix convenu de la réplique, du pastiche. On a hâte de les découvrir sur scène. Le prog n’est pas qu’une musique de studio mais bien un genre façonné pour les grandes messes publiques. Même si l’on subodore que le groupe, relativement petit par la taille et la notoriété, optera pour une salle à se mesure, se taillant dès lors une large réputation, creusant inlassablement son sillon. Comme le dit d’ailleurs son album, Terrapath. Le chemin de la Terre. En bonne voie. 

Plantoid, Terrapath (Bella Union)

terrapath.jpg

https://plantoidworld.bandcamp.com/album/terrapath

 

 

 

 

 

 


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