Jimi Hendrix, praxis

par Adehoum Arbane  le 13.02.2024  dans la catégorie C'était mieux avant

Déjà si loin qu’elles pourraient disparaître dans coup de gomme du destin. Ainsi nous apparaissaient les glorieuses sixties. 1967, un nombre échappé d’un autre siècle mais dont la graphie, à l’œil, semble toujours actuelle. Au combien fascinante. Alors que les sixties, tout comme les seventies, ont été remisées au musée de notre mémoire collective. Ringardes pense-t-on. Avec leur cortège de babas-cool, leur naïveté confondante, pour ne pas dire abêtissante. Elles ne paraissent pas loin sans raison, vestiges d’une époque fort heureusement révolue. Et pourtant, qui ne se plaît pas à exhumer le vieux costume des années pop, à l’occasion d’un article, d’un livre, d’une rétrospective ou mieux, pour le simple plaisir de faire surgir cette musique envoûtante, la pop chamarrée des Beatles, le rock vénéneux des Stones, le psychédélisme abyssal de la Californie.

Un nom revient à chaque fois pour la brièveté de son passage ici-bas mais qui l’avait propulsé si haut. Il s’agit de Jimi Hendrix. Jimi, pour les intimes (comprendre les fans). Quatre albums (dont un double), un album posthume qui prendra forme avec les années, c’est peu. Mais on peine encore à mesurer ou à admettre à quel point ces disques sont devenus fondamentaux. Délaissons le tout premier, oublions le troisième considéré comme le chef-d’œuvre de Jimi et de son groupe l’Experience. Considérons un moment Axis : Bold as love enregistré de mai à octobre 67 et paru le 1er décembre de la même année. Il faut d’abord se dire qu’entre Are you Experienced et Axis, il n’y a pas réellement d’interruption. Hendrix aura passé une année entière en studio, faisant quelques coupures pour rejoindre la scène où le gaucher de Seattle libérait alors les démons du blues qui sommeillaient en lui. Mais l’écoute renouvelée de Axis nous révèle plusieurs choses au sujet de Jimi Hendrix. Tentons de rassembler ces commentaires en un tout cohérent. Au-delà du statut de guitar heroque son premier album lui a conféré, on découvre sur ce disque un Hendrix très inspiré, mieux, un Jimi capable d’évoluer dans des registres différents, plus nuancés que les brûlots blues-rock acides que l’on pouvait découvrir sur son premier LP, Are You Experienced et Third Stone From the Sun posant déjà les bases du son futur. 

Nous l’avons dit, Hendrix délaisse le côté démonstratif de son jeu pour proposer des chansons plus courtes, plus pop donc, où la mélodie éclate en splendeur kaléidoscopique comme sur la pochette très réussie qui se dépliait alors de haut en bas, montrant un Jimi hindou entouré de ses divinités rythmiques, clin d’œil habile à l’esprit de Sgt. Pepper’s et de Their Satanic Majesties Request. On pense aussi au second LP du Grateful Dead qui paraîtra l’année d’après. Après un EXPportant bien son nom, le trio enchaîne sur le jazzy Up From The Skies dont la limpidité et la vélocité charment aussitôt. S’ensuivent le nerveux Spanish Castle Magic et Wait Until Tomorrow, totalement dans l’air du temps, le Carnaby spirit de 67. Ain't No Telling est le parfait trait d’union vers la bouleversante fin de face que constitue Little Wing dont la production tout en riffs métalliques et tintements tibétains montre à quel point Hendrix savait soigner des chansons savamment écrites. Le constat est dressé. Jimi Hendrix n’est pas qu’un technicien doué, ni un producteur méticuleux mais un songwriter touché par la grâce, en témoignent la facilité déconcertante avec laquelle il trousse les mélodies et l’imagerie foisonnante de ses textes. Il n’est ni Randy Newman ou Dylan, mais sa plume sort bien souvent des sentiers battus sur le mode convenu des « I love you, let’s go for a walk » de rigueur pour explorer des territoires moins balisés. Mais c’est la face B qui nous dicte les mots qui vont suivre. If 6 Was 9 a 30 ans d’avance. C’est un morceau qui aurait pu sortir au mitan des années 90. Tout l’album sonne comme ça d’ailleurs. Comme un futur contenu dans ces trente-neuf minutes gravées à une époque où les hippies n’avaient pas encore coupé leurs cheveux de peur de perdre leur mojo psychédélique. Hendrix invente tout avant tout le monde, le rap, le rock indé, la modernité. Le son de son nouveau disque est dépoussiéré, sans doute l’a-t-il conçu sans le savoir pour le Compact Disc. Hendrix était comme ça. Un visionnaire. Alors qu’il vient de nous envoyer un pavé stellaire au visage, ridiculisant Within You Without You de Harrison, il enchaîne avec You Got Me Floatin', chanson aux redoutables effets de stéréo. Même la voix de Jimi, sa façon de scander les strophes sont à des années-lumière des mièvreries anglaises d’alors. Et puis là, comme ça, il nous assène le coup de grâce, le deuxième avec Little Wing. Celui-ci s’appelle Castles made of sand. Morceau sublime, synonyme d’absolu où la production comme l’interprétation montrent un musicien en pleine maîtrise de son art. Les autres étaient loin derrière. 

En l’occurrence, les autres pourraient être Mitch Mitchell et Noel Redding qui assurent aux côtés du guitariste. Noel se hissant presque au niveau de son leader avec le Creamien She's So Fine. La face se termine idéalement sur un One Rainy Wish plein de joliesse, le nerveux Little Miss Lover jusqu’à l’apothéose du morceau qui donne son titre à l’album, Bold As Love. La chanson est un fulgurant condensé de l’art hendrixien. Mélodie rehaussée de poésie, chant gorgé d’émotion et feu d’artifice guitaristique dans les dernières minutes offrent à ce disque un fabuleux point final. À la question “pourrait-on encore écouter des disques sixties aujourd’hui ?”, on pourrait parfois hésiter à répondre. Au sujet de Jimi, il n’y a pas débat. Hendrix est le musicien immortel et universel à la fois. 

The Jimi Hendrix Experience, Axis : Bold as love (Tracks)

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https://www.deezer.com/en/album/454044

 

 

 

 

 


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