Iron Butterfly, transformisme pop

par Adehoum Arbane  le 16.01.2024  dans la catégorie C'était mieux avant

Robert de Niro. Sans doute le même homme de ses débuts avec Carné et De Palma jusqu’à Nancy Mayers en passant bien sûr par Scorsese, le grand Martin qui lui offrit ses plus beaux rôles. Et pourtant c’est peu dire que l’acteur enchaîna les transformations. Avec en point d’orgue son interprétation gonflée, dans tous les sens du terme, de Al Capone dans Les incorruptibles. Pas aussi immense que ce dernier, le groupe pop Iron Butterfly partage un point commun avec lui : son transformisme permanent derrière une cohérence de façade. Et en quatre albums, si on délaisse le live pourtant officiel, sorti en 1970. Iron Butterfly, les Robert de Niro du rock psyché californien.  

Oh, cette considération ne tient pas tant à l’irrégularité du line-up qui changea depuis les premiers pas du groupe en 1967 jusqu’à l’année 1970 dont nous parlerons bientôt. Certes, le chanteur organiste et surtout compositeur Doug Ingle est de chaque aventure discographique, appuyé par la frappe fidèle de Ron Bushy. Le bassiste et les guitaristes évoluent au gré des projets, des dissensions. Si le groupe démarre discographiquement le 22 janvier 1968, c’est en clone des Doors, version Heavy – le nom de ce premier album – qu’ils apparaissent. Derrière ce faux mimétisme, le groupe développe déjà cette forme de singularité baroque qui sera sa marque. Singularité dont Ingle pose à lui seul les bases avec ce son d’orgue Vox Continental, frère du Farfisa, qui donnera au psychédélisme côte Ouest ses lettres de noblesse. Quelques mois et un passage en studio après, le groupe passe le stade supérieur avec son magnum opus, In-A-Gadda-Da-Vida dont le morceau titre, placé habilement en face B, propulse notre papillon au firmament pop. Si la face A montre une formation – nouvelle –, totalement revitalisée, et un Ingle au faîte de son inspiration – le parfait Most Anything You Want en introduction et l’hypnotique My Mirage –, ce sont les dix-sept minutes séminales de In-A-Gadda-Da-Vida qui impressionnent. Le morceau pose les bases du Krautrock à venir, pas moins. Publié début 69, Ball ne prolonge pas l’idylle inspirationnelle que vit alors Doug Ingle. Considération provisoire à l’écoute de Metamorphosis qui, dès les premières notes de Free Flight/New Day transforme le papillon gracile des 60s en réel insecte de fer, façon seventies bien sûr. 

Plus lourd dans l’approche, Metamorphosis conserve pour autant le magnétisme des précédentes œuvres. Il va jusqu’à explorer des ambiances diverses comme avec le quasi funk Shady Lady. Mais dans le changement, Iron Butterfly ne rompt pas avec l’étrangeté dramatisante de sa musique. Celle-ci possède une force, pas nécessairement une puissance, un pouvoir qui s’exprime au mieux dans les titres les plus virils comme Best Years of Our Life, mais aussi dans ces moments pastoraux, évocation d’un psychédélisme de jadis que peu de groupes ont alors su ressusciter avec autant d’émotion. Ainsi va Slower Than Guns et son sitar dont l’ajout ne paraît pas de trop. Loin des postures pseudo mystiques, cette sublime ballade se fraie un chemin de lumière dans un torrent de lave presque pétrifié. Doug Ingle n’a jamais aussi bien chanté. Détail qui peut sembler anecdotique mais qui compte ici, nombre de chanteurs ne savant pas chanter. Ingle, lui, est pourvu d’un beau timbre, ample, grave, profond, vacillant parfois. Stone Believer est l’un des nombreux sommets de cet Everest insoupçonné. Toujours est-il que le Croyant de pierre prend les habits de la parfaite chanson de fin de face. 

La seconde face nous semble quelque peu dégarnie. C’est sans compter le rituel de la longue suite qui la clôt en bonne et due forme. Mais avant les treize minutes de Butterfly BleuSoldier in Our Town nous emmène dans une voie inattendue, celle de la chanson pop de singer-songwriter. Débutant sur un motif de batterie ultra cool et un thème hautement mélodique, la chanson se réserve la liberté, sur le refrain, de retrouver des accents plus rock, plus sombres aussi. Ce qui ne l’empêche nullement de briller autant que ses consœurs. Easy Rider (Let the Wind Pay the Way) demeure sans doute le morceau le moins passionnant bien que qualitativement honorable. Sans doute parce qu’il penche plus vers ce que fait alors Steppenwolf. Plus séduisant s’avère Butterfly Bleu. Faux blues qui se pique d’inventivité, avec ses sections multiples, transformant, excusez du peu, le morceau en poupée gigogne. Même Doug Ingle au chant ose des idées que n’importe lequel de ses concurrents n’aurait pas imaginées, même en rêve (la fameuse talkbox). Outre la compétence des musiciens solistes qui l’accompagnent, Mike Pinera et Larry Reinhardt, Ingle choisir Richard Podolor à la production, l’homme derrière Three Dog Night et surtout l’ingé son du Chocolate Watchband. 

Si la métamorphose fut ambitieuse, elle n’ouvrit cependant pas une nouvelle voie. Et pour cause. Après la sortie d’un ultime Best Of, manière de dire que le Papillon vola bien dans la cour des grands, Ingle se retire dans un écrin de nature, s’adonnant à la peinture. Le groupe se reformera en 75 le temps de deux albums de hard rock dispensables. Privé de son créateur le Papillon de Fer semble lesté, bien loin de la magie des années 67-70, une époque où tout était possible. Où un groupe de seconde division pouvait devenir le temps d’une chiquenaude du destin l’un des plus grands groupes du monde. Des dieux en leur Eden. 

Iron Butterfly, Metamorphosis (Atco)

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https://www.deezer.com/en/album/364245

 

 

 

 

 


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