The Velvet University

par Adehoum Arbane  le 24.10.2023  dans la catégorie C'était mieux avant

En 1969, Lou Reed et sa bande sont comme Evgueni Prigojine et ses hommes aux portes de Moscou. Les deux premiers LP du Velvet s’annonçaient comme des coups d’éclat, peut-être même des coups d’État contre le régime bien installé de la pop. Dans un élan de lucidité, face au désastre de l’impopularité, le groupe qui a perdu entre-temps John Cale, fait marche arrière.  Sur la pochette de leur troisième 33t, dont le titre ne fait aucun mystère – il s’appelle The Velvet Underground – les membres du groupe posent bien habillés, en noir et blanc certes, tels des étudiants à une fête improvisée dans une chambre d’un campus d’université américaine. Comme à chaque rentrée, un petit nouveau a fait son arrivée, il s’agit de Doug Yule. Dans ce disque que beaucoup de fans tiennent pour leur préféré, Lou Reed chantera même, guilleret, « I’m beginning to see the light ». Tu m’étonnes ! 

C’est peu dire que Lou vit ici une forme de rédemption. Il entre en studio comme dans un confessionnal pour y faire absoudre ses péchés rock’n’roll. Certes, What Goes On est un formidable précipité de l’art velvetien à ses débuts. Pour le reste, Lou et le Velvet se sont calmés. Ils tentent de se recentrer, de retrouver une place dans l’amphithéâtre rock où bien d’autres se sont durablement installés. Lou ira même jusqu’à invoquer Jésus dans Jesus« Jesus, help me find my proper place. » Tout est dit. En règle générale, le disque semble fixé dans l’ambre de la douceur, profitant de la lenteur pour s’épancher. En témoignent Candy says et Pale blue eyes, dont les cinq minutes et la voix cassée de Lou (l’aurait-on imaginé ainsi ?) achèveront de broyer de leurs caresses de tambourin les petits cœurs des poppeux des décennies suivantes. Si Some kinda love avait, quelques minutes auparavant, des accents de country new-yorkaise, I'm set free emploie les grands moyens pour atteindre des sommets d’émotion et de compassion. Nous l’avions cité, Beginning to see the light montre un Lou Reed libéré donc des oripeaux de sa mélancolie ducassienne, électrique et violente. 

Désolé de cette chronique telle une chambre en désordre, mais c’est ainsi que quelques chanceux avaient trouvé le Velvet en mars 1969. Des copies partout (les textes de Lou), quelques cachets ou gélules, des cadavres de bouteilles (le passé contrarié de Lou). Toute trace d’une existence en accéléré d’un homme et de son groupe ayant beaucoup vécu, la désillusion en plus de la discographie et des tournées, le tout résumé en un titre : That's the story of my life. Et une dernière chanson pour la route, comme on dit, After hours chantée par Moe Tucker et qui ressemble à s’y méprendre à un morceau de BO de films des 90s. Rideau ? Non, ce serait passer à côté de The murder mystery. Car même s’il est situé en toute fin de face B, The murder mystery demeure sans doute la chanson antidote, dans une logique inversée, qui voudrait réinsuffler un peu de folie dans cet ensemble de bon aloi, au style et à la joliesse parfaite. The murder mystery serait un peu si l’on ose dire comme le final de Carrie au bal du diable. En moins démonstratif certes, mais à la subversion rampante. Au passage, il s’agit sans doute du morceau le plus frontalement psychédélique du groupe, qui plus est en 1969 où le genre s’éteint chez les grands maîtres pour continuer à vivre quelques beaux jours du côté de la seconde division des groupes américains. Construit sur deux thèmes, un récital épileptique assuré par Sterling Morrison et Lou Reed, et une mélopée de miel chantée par Moe Tucker et Doug Yule, le tout enrubanné d’orgue et de guitare défoncée, le titre s’étire sur presque neuf minutes, finissant sur un thème de piano quasi syd-barrettien. 

Peut-être irons-nous jusqu’à dire que cet album fera école, du moins donnera-t-il un vrai sens à tout un pan de la pop et du rock indépendant, souvent écrit et parfois enregistré dans des chambres d’écoliers. Malgré la sortie de route stylistique de The Murder mystery, l’album baigne dans une forme d’euphorie qui régnait alors en studio. Doug Yule, qui faisait ici ses gammes, se souvient d’une ambiance bon enfant, d’un véritable esprit collectif où chacun apportait sa contribution à la chanson, comme si le Velvet découvrait que la créativité collective pouvait être non seulement un remède à ses dépressions mais la clé du succès. Il y a surtout une forme de naïveté scolaire. Le bon élève Velvet veut tout faire pour être aimé, populaire. Oh, il ne peut pas être premier en football américain, mais il peut largement gagner son diplôme de pop. Tout dans ce disque profondément juvénile aspire à cela. Toutes les cases ont été cochées pour qu’il se hisse sur le podium des lauréats, avec les grands. La critique ne s’y trompe pas. Si elle s’avère unanime dans le dithyrambe, la traduction commerciale, en gros l’entrée dans les charts, devra encore attendre… l’année 1985. 

Le Velvet doit se résoudre à son cruel sort. Il est condamné à être le groupe mal-aimé du public mais un groupe emblématique cité en référence. Celui qui patiemment sème ses graines qui fleuriront chez d’autres, les rasoirs Sonic Youth notamment. Consolons-nous avec ces mots de Paul Williams du journal Crawdaddy qui déclare que tout le monde aime la nouvelle version du groupe et la qualifie de préférée depuis Forever Changes de Love. Jolie comparaison artistique en dehors de sa dimension poissarde.    

The Velvet Underground, The Velvet Underground (MGM)

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https://www.youtube.com/watch?v=QwOxtSyZ9F8

 

 

 

 

 


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