Led Zep II, c’est de la bombe

par Adehoum Arbane  le 04.07.2023  dans la catégorie C'était mieux avant

Le discours, la déclaration ou l’oraison (souvent funèbre). Cet art oratoire censé inscrire la parole dans le marbre de l’éternité. Cette prise de risque où le tribun se lance et se révèle. Ce moment décisif est constamment précédé d’un silence, parfois lourd, chargé d’émotion, suivi d’une légère toux pour s’éclaircir la voix dans un rituel devenu solennel. Nul n’y échappe. Et le 22 octobre 1969, Robert Plant toussota. L’instant était grave. Quelques mois auparavant, le groupe avait jeté son premier long comme un pavé dans la marre de la musique pop. Les éclaboussures avaient été nombreuses, éparses même si Led Zep, comme on allait vite l’appeler, n’était pas la seule formation à ouvrir le bal du hard rock naissant. Juste avant, mais dans une formule entre psychédélisme et baroque, Deep Purple. Led Zeppelin a pour lui d’avoir proposé le même line-up du début jusqu’à la fin, ce qui n’est pas le cas du Pourpre Profond qui aura connu moult réincarnations. Entre 1968 et 69, ce dernier ne dépasse pas le stade du Mark I, Mark II représentant le faîte de sa carrière et l’acmé du style metal. Pour Led Zep, les choses sont différentes. 

Lorsque Robert Plant prépare symboliquement ses cordes vocales avant le riff apocalyptique de Whole Lotta Love, ciselé très efficacement par Jimmy Page, le groupe dans son ensemble a opéré une mue discrète avec le précédent opus même si celui-ci préparait activement le terrain. C’est peu dire que Led Zeppelin I constitue une date dans l’histoire du rock. Jimmy Page n’en est pas à son coup d’essai. Il a œuvré au sein des Yardbirds et accompagné nombre de musiciens, tout comme le bassiste John Paul Jones qui occupa le poste de directeur musical, voire d’arrangeur, pour la crème des jeunes artistes anglais dont Donovan, les Stones, Rod Stewart, Cat Stevens. Seuls Plant et Bonham ne peuvent s’enorgueillir du même parcours. Led Zeppelin est la concrétisation de toutes les idées, ambitions, expériences du jeune Page. Il se sait bien accompagné : Robert Plant est un chanteur puissant mais subtil, doublé d’un personnage séduisant, Jones un musicien complet (il joue aussi de l’orgue) et Bonham un batteur à la frappe dévastatrice. Surtout, il considère que les qualités de ses nouveaux compagnons sont les ingrédients parfaits pour la formule qu’ils souhaite concrétiser et qui dynamitera les codes du rock et de la pop, genres qui n’ont de cesse de se métamorphoser depuis le Rubber Soul des Beatles. Le 12 janvier de la même année, ce cru qualifié d’érotique par Serge Gainsbourg, le tonitruant et malin Good Times Bad Times inaugure une longue séries d’albums matriciels qui propulseront Led Zep au firmament de la popularité. 

Un million de disques écoulés. Ce premier essai séduit d’emblée. Il s’avère cependant varié pour ne pas dire hétéroclite. S’il définit profondément le style Led Zep, son côté multidirectionnel surprend. Avec ses morceaux longs, parfois teinté de psychédélisme sur sa fin, des ballades épiques, un instrumental d’inspiration hindouiste, il brouille un peu trop les pistes et le besoin de se recentrer se fait nécessaire, urgent. Page, Plant, Jones et Bonham le savent qui préparent déjà le coup d’après. Le numéro II donc. Neuf morceaux, pas un de plus, quarante-deux minutes suffisent à poser les bases, imposer une stature quasi définitive, ce qui n’est d’ailleurs pas qu’un vœu pieu puisque pour la suite, le groupe n’aura de cesse de se réinventer. Mais il y aura bien un avant et un après Led Zeppelin II. Premièrement, le groupe simplifie son langage. Seul l’orgue revient de manière délicate sur le très beau Thank You, unique ballade de l’album.  Quelques percussions auréolent Ramble On, pour le reste, Led Zep se cantonne à la pure électricité, à ce nouveau rock encore traversé d’éclairs blues. Mais la puissance l’emporte sur la référence, la violence gomme la citation. Prenons What Is and What Should Never Be. Entame blues relativement cool et déluges de décibels sur le refrain transforment une chanson simple en apparence en brûlot heavy. Traitement similaire pour The Lemon Song sauf qu’ici, le riff en introduction enrubanne le blues de ses propres sortilèges, subversion intelligemment pensée dans une incessante quête de modernité. 

Heartbreaker qui ouvre la seconde face, s’avère plus novateur sans pour autant aller chercher l’exotisme que l’on retrouvait sur le précédent album. Derrière la rudesse du propos, un esprit cool s’insinue, serpente tout du long et explose en permanence comme si le groupe avait consciencieusement piégé et miné sa composition. Living Loving Maid (She's Just a Woman) serait un peu le Communication Breakdown du premier opus. Nous l’avions esquissé, Ramble On constitue une pause musicale, presque bucolique dans cet épais maelstrom électrique. Une brise acoustique, rêveuse, impressionniste qui appelle au voyage, nous sommes en 69, rappelons-le. Il existe encore quelques hippies parcourant le monde, guitare au dos, rêve en tête, joint rivé à la lippe. Quand Moby Dick survient, ce joli tableau se dissout dans la bile percussive de Bonham – le morceau est à moitié de son cru, co-écrit avec Page. Bring It On Home clôt l’album sur un clin d’œil bluesy-tradi, lui aussi "grand remplacé" par un riff de tous les diables qui porte en lui le sceau perpétuel de ce II de bonne augure.  

Au final, Led Zeppelin II sonne comme un bloc massif, tout juste taillé, à peine poli. Ce cube tiendrait largement tête aux pyramides égyptiennes. Toujours est-il que déjà en 69, il fait la nique aux premiers chefs-d’œuvre prog qui ne font pas non plus dans la dentelle baba, on songe surtout aux premiers King Crimson et VdGG. Son ouverture y est pour beaucoup, plagiat malin dont Page fait un petit miracle. Avec l’or du blues il fait du plomb sonore. Tout en donnant au titre l’agilité du métal en fusion. En son milieu, Page ajoute des effets tandis que Plant éructe comme un satyre. Break de Bonham, solo bref mais intense et retour au thème propulsent le morceau dans la stratosphère des charts – Whole Lotta Love sera le seul single officiel de l’album. Tina Turner ne s’y est pas trompée en proposant, six ans plus tard, une relecture diamétralement opposée mais toujours sexy. Enfin, comme un adoubement, précisons à toutes fins utiles que l’album est mixé par l’ingénieur du son de Hendrix, l’incontournable Eddy Kramer. Malgré cette prestigieuse collaboration, le son du groupe n’appartient qu’à lui. Rien ne sonne à l’époque comme Led Zeppelin, pas même ses actuels et futurs concurrents. Malgré la position dominante du groupe, le statut en or massif de ce numéro II,  les regards se tournaient déjà ailleurs. Ainsi, il était logique que Led zappe. 

Led Zeppelin, II (Atlantic)

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https://www.youtube.com/watch?v=W2bxOJX-E3M

 

 

 

 


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