Olson et Clark, folk dans les Gene

par Adehoum Arbane  le 20.06.2023  dans la catégorie C'était mieux avant

Le Triangle des Bermudes, cette zone géographique de l’océan Atlantique, est depuis toujours l’objet de toutes les superstitions. Dites-vous bien que pour l’artiste ayant connu son apogée durant les sixties, les années 80 sont un peu le Triangle des Bermudes de sa carrière. Une période dans laquelle on peut vite se perdre, surtout si l’on décide par facilité d’en adopter tous les codes. S’ils furent nombreux à sombrer, il existe quelques exceptions qui ont continué, pas tant de briller, mais d’évoluer de succès en succès : Paul Simon, Peter Gabriel, Tina Turner, Genesis et Phil Collins seul, Bowie bien sûr et Neil Young, enfin à la fin des 80s. Parlons un peu de Gene Clark. Figure tutélaire des Byrds mais artiste au fond injustement oublié, il a écrit une des plus belles pages de la pop folk américaine, malgré le chemin de traverse que constitue sa carrière solo. Après avoir quitté les Oyseaux, on le retrouve avec les Gosdin Brothers, puis deuxième paire de Dillard & Clark, pour continuer une carrière solo qu’il avait laissé en jachère fin 67. Carrière dont l’apogée surviendra en 1974 avec No Other, album d’un créativité inouïe et qui deviendra avec le temps un objet de culte, même si ce terme peut sembler galvaudé. Il ne l’est pas ici. Et surtout pas avec Gene Clark. 

Les années 80 donc. Synthés, peroxydage, fluo dans tous les sens. Rien de tout cela ici d’autant que l’album dont nous allons parler est sorti plus tardivement, en 1987. Et que le vieux routard du folk-rock ne l’a pas écrit et enregistré seul. Il accompagne – la nuance est importante – Carla Oslon, artiste texane installée à Los Angeles, qui n’en est pas à son premier coup d’essai. En 1978, elle fonde avec son amie Kathy Valentine les Textones qui perpétuent comme quelques autres (Tom Petty) l’illustre passé du rock américain dont le terreau country folk remonte bien évidemment aux 60s. le départ de Valentine provoque quelques remous, ce qui explique l’arrivée dans les bacs de leur premier Lp, Midnight Mission, en 1984. Alors qu’un second est en préparation la même année, Carla Olson choisit curieusement de démarrer une carrière solo d’autant qu’elle partage la tête d’affiche avec notre ancien Byrd (qui assurait déjà les chœurs sur Midnight Mission). So Rebellious A Lover, puisqu’il s’intitule ainsi, montre le couple de musiciens côte à côte, vêtu de vestes en jean, comme pour brouiller un peu plus les pistes. Parenthèse ouverte et presque fermée, Olson fera de cette combinaison une habitude. 

Premier point, sur les onze titres, cinq sont des reprises empruntées à des prestigieux noms comme Gram Parsons ou encore John Fogerty, Joe South, choix judicieux sur le plan esthétique, manière de dire que Olson connait, tout comme Clark, sa bible folk rock sur le bout des doigts. Le reste est d’une symétrie troublante, respectueuse et admirable, trois compositions chacun. Le backing band est pléthorique avec notamment Randy Fuller, frère de Bobby excusez du peu, et l’indispensable Chris Hillman, figure totémique ayant participé à deux des plus belles aventures du rock US, les Byrds, les Flying Burrito Bros et Manassas. Et les chansons dans tout cela ? Traditionnelles revisitées, compositions signées d’un aîné ou chansons originales, elles resplendissent toutes. Produites à la perfection, sans fioritures mais dans un certain faste – la flûte sur Del Gato – qui évite le piège de la pièce montée, chacune apparait dans son plus bel apparat, mais surtout pour elle-même. Car les qualités d’écriture de Olson s’imposent dès l’entame de The Drifter dont le refrain sert de superbe ornement à sa voix intense et puissante, quoiqu’un peu aigue. On ne remettra pas en doute le talent de songwriter de Gene Clark mais on aurait pu croire que celui-ci pâlirait avec les années. Gypsy Rider nous prouve le contraire et avec quelle majesté. Sur un thème lent et qui fait parfois songer au Wild Horses revu et corrigé par les Stones, Clark déroule des paroles incroyables qui résonnent en nous, quand bien même on ne les comprendrait pas immédiatement : 

« Crank her over once again
Put your face into the wind
Find another road where you're never been.
Sing that 2-wheeled melody
The highway symphony
You know she'll never understand.
 »

Petit aparté qui ne doit pas nous détourner de la suite dont l’inspiration et l’authenticité de l’interprétation ne baissent jamais. Si Every Angel In Heaven assure une transition idéale et énergique vers Del Gato, elle ne cède rien de son élégance feutrée, à la frontière du jazz. Signé Clark, Del Gato ajoute un chef-d’œuvre de plus à cette première face, caressé par la flûte et les voix combinées de Clark et Olson. Quant aux paroles, elles offrent une jolie phrase qui donne son titre à l’album. Composée par Martin Hoffman et Woody Guthrie, Deportee (Plane Wreck At Los Gatos) propose logiquement un détour par un chemin plus traditionnel où sillonne la rivière du temps. Hommage respectueux et délicieusement anachronique, comme une vieille valse dont on retrouve instinctivement les pas. Changement de face et là, c’est le choc. Chanson traditionnelle arrangée par Clark, Fair And Tender Ladies sidère par sa beauté et sa modernité. C’est l’un des moments forts du disque, si ce n’est l’instant le plus émouvant où tout sonne à la perfection. Almost Saturday Night qui la suit délaisse les humeurs ombrageuses des ballades pour renouer avec un tempo plus alerte, dans un registre s’inscrivant dans les codes du genre. C’est aussi une chanson tirée du tout premier album de John Fogerty, sorti en septembre 1975. Choix judicieux, non paresseux à l’image de I'm Your Toy (Hot Burrito №1), que l’on retrouve sur The Gilded Palace Of Sin des Flying Burrito Bros de Gram Parsons. La main de Clark transforme cet or de pionnier en diamant pop, rien de moins. Un nouveau classique transcendé. Are We Still Making Love est le fruit délicat de la plume de Carla Olson. C’est une tendre romance au titre explicite mais dans ce genre si pétri de vérité, il n’y a jamais de fausse pudeur, voire de pudibonderie. Les choses sont dites, et la chanson en devient le véhicule idéal. Dans le même esprit, mais d’un abord plus abrupt, Clark signe avec Why Did You Leave Me Today une mélodie inspirée et une chanson à la sentimentalité plus opaque. Don't It Make You Want To Go Home clot l’album sur une note plus heureuse, grâce en soit rendue au génial Joe South qui publia entre 68 et 75 une série de classiques inusables que beaucoup devraient redécouvrir sans tarder. 

La version CD de So Rebellious A Lover allonge, royale, un titre de plus : Lovers Turnaround. Première seconde chantée a cappella avant que l’orchestre n’entre, manières subtiles d’un grand nom de la musique américaine qui n’avait pas, cette année, dit son dernier mot. Épaulé par Carla Olson, le musicien livre l’un de ces barouds d’honneur qui vous marquent au fer blanc. Baroud d’honneur et pour cause, puisque Gene nous quittera le 24 mai 1991. Reste sa musique, en groupe, seul ou avec Carla. En 1987, sans le plus petit synthétiseur, on pouvait dire que c’était du sérieux. 

Carla Olson & Gene Clark, So Rebellious A Lover (Rhino Records)

1987-so-rebellious-a-lover.jpg

https://www.deezer.com/en/album/236428

 

 

 

 


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