Jethro Tull, men in tights

par Adehoum Arbane  le 13.06.2023  dans la catégorie C'était mieux avant

Des hommes en collants. La citation originale a été empruntée au génial Mel Brooks, maître du burlesque états-unien qui donna, entre autres joyeusetés, son adaptation toute personnelle du mythe de Robin des bois. Cette phrase, pour comique qu’elle soit, correspond à merveille aux hommes de Jethro Tull, formation bien connue en Perfide Albion pour avoir réussi la synthèse parfaite en rock, blues d’un côté, folk et influences médiévales de l’autre. Une gageure pour un genre, la folk, qui reste plus l’art de l’interprétation que celui que l’invention. Mais le Tull a surgi tel le diable de la machine des sixties anglaises, une époque où toutes les audaces étaient permises, voire encouragées. Et celles-ci n’étaient pas que vestimentaires, fort heureusement. Entre 1968 et 1979, Jethro Tull a mis en boîte douze albums, certains bons, voire excellents, des chefs-d’œuvre pour deux ou trois albums, d’autres plus dispensables. Toujours est-il qu’il occupa un terrain discographique, scénique et populaire que jamais il ne céda. Or dans l’Angleterre de la fin des seventies couve une révolution. 

1977. Les Pistols sortent God Save The Queen. Coup de canon dans le ciel pop britannique. Déclaration de guerre à l’endroit des dinosaures, ces groupes prog honnis dont le seul péché fut de croire en peu trop en leur suprématie, s’abandonnant aux facilités putassières de la virtuosité, du studio jusqu’aux stades du monde entier. Ils avaient vu grand, gros, trop apparemment. Pendant que les iroquois de Camden foutent un sacré bordel, esthétique et sonique, le Tull oublie le style hard folk qu’il avait développé, non sans talent d’ailleurs, depuis Aqualung pour revenir aux racines du Tull des sixties. Pourquoi un tel revirement ? Comme McCartney, Ian Anderson découvre les joies de la vie rurale, loin des tempêtes londoniennes. Dans le calme de la campagne anglaise, il retrouve sens et son, surtout l’inspiration. Quand il entre au studio Morgan en septembre 76, il a là la matière d’un album, les fameuses Songs from the Wood. Le titre, son lettrage et sa signification aussi limpide qu’une eau de roche où dort on ne sait quelle fée arthurienne, la photo retenue pour la pochette, tout cela s’aligne pour donner à l’auditeur une idée de ce qu’il trouvera sur ces deux faces. Qu’y trouve-t-on justement ? 

Neuf chansons pour une fois coécrites avec un compagnon et pour certaines avec Martin Barre – il était temps de mettre à l’honneur le discret guitariste soliste – et David Palmer, son arrangeur historique. Un vrai sens de la mélodie ce qui pourrait surprendre s’agissant d’une formation relativement rock. Anderson fut de tous temps, quelles que soient les époques, un compositeur inspiré, souvent délicat. Sa poésie obscure comme dans Aqualung (l’album) ajoute bien souvent à la magie des thèmes, qu’ils soient rapides ou plus lents. Cette composante se retrouve ici, et dès le titre d’entame. Impact instantané, séduction immédiate, Songs from the Wood imprime son style en imitation – la logique de répétition des chœurs. Une telle entame pouvait laisser présager une baisse de régime ? Il n’en est rien. Jack-in-The-Green prolonge cette ambiance sur une note plus lente, solennelle quand Cup of Wonder amorce un changement de ton plus rapide, sans jamais perdre de la magie. Une fois de plus, Ian Anderson s’affirme comme un compositeur au style identifiable. Parmi tous les groupes à flûte, et hormis les Moody Blues, il n’existe pas d’équivalent au Tull tant son répertoire, désormais plus que généreux, brille des mille feux de l’originalité. Le plus étonnant est que les morceaux se trouvent parfois habillés de synthétiseurs discrets, comme sur Hunting Girl. Jamais ces derniers ne viennent trahir la promesse d’authenticité de cette musique hautement folklorique. De même que les quelques incursions électriques, rappelant l’époque 71-75, ne bouleversent ce bel ordonnancement. La face A se referme sur le joyeux et festif Ring Out Solstice Bells

Face B, même ambiance surannée. Long de six minutes, Velvet Green nous fait voyager dans le temps. On imagine le groupe tel que sur la pochette de Stand Up, en troubadours arpentant les forêts, cheminant d’un château à l’autre afin de conter ses histoires. Il faut se redire qu’à cette époque, les punks tiennent le haut du pavé. Jethro Tull lui s’abreuve à la source d’une rivière sherwoodienne, sans le moindre complexe. The Whistler lui fait suite, plus court, plus dramatique aussi. Toujours parfaitement composé et exécuté. Ébouriffant refrain prouvant les mérites d’Anderson. Fort de ces huit minutes, Pibroch (Cap in Hand) s’annonce comme la pièce maîtresse de la face B et de l’album. Démarrant par des éclairs électriques dans un ciel ombrageux,  la suite puisqu’il en s’agit d’une, s’avère un parfait condensé de l’art tullien. Parfois exagérément certes. Mais la musique n’est-elle faite pour laisser les passions s’enflammer ? C’est bien le cas ici. Le disque se referme sobrement par Fire at Midnight, joli thème enrobé de piano et de flûte qui n’est pas sans rappeler ce que le Tull produisait sur Aqualung. La version CD se voit complété de Beltane, très bel inédit aux accents rock. 

À l’évidence, cette musique anachronique pourrait prêter à moquerie, serait le sujet de nombreuses considérations vexatoires. Mais c’est le jeu de la création. Se confronter au public, tous les publics. On peut y voir de la ringardise, de la naïveté – les temps changeaient, il fallait bien l’accepter – ou bien de l’audace. Une fois n’est pas coutume, Jethro Tull semble culoté, ce qui est bien la moindre des choses pour des hommes en collants. 

Jethro Tull, Songs from the Wood (Chrysalis)

1977-songs-from-the-wood.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=vYUn3jJ21S8

 

 

 


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