Quicksilver, voyage heureux

par Adehoum Arbane  le 25.04.2023  dans la catégorie C'était mieux avant

Les années soixante ne sont plus à une ou deux inventions près. Le 45t et sa promesse de bonheur immédiat, le Lp et sa dimension immersive, qui devint conceptuelle avec le temps (et avec Sgt. Pepper’s), les genres, la pop, la soul, le rhythm and blues, les Girls Group, la Beatlemania ! Bref, un seul article ne suffirait pas à en réaliser l’inventaire. Les sixties et bien évidemment les seventies à un stade – sans mauvais jeu de mots – supérieur auront aussi inventé les concerts, les festivals… et les messes ! N’y voyez pas là un retour du religieux de mauvais aloi. Par messes nous entendons ici célébrations. Vous me direz que le terme n’élude pas la dimension ecclésiastique. Gardons dans cette idée le facteur spirituel.

Ainsi, les années soixante aurons posé les bases des concerts où le public entrait en communion avec le groupe, au sens émotionnel. Le live n’est pas vécu comme un simple spectacle, un banal divertissement auquel on consent afin de rompre la monotonie de l’existence. Cette existence millimétré (le boulot la semaine, les sorties, beuveries le week-end) que les rockeurs des sixties se plairont à raconter de long en large. Non, La musique en direct se veut l’ultime expérience, le véhicule d’un transport, d’un voyage dans un même vaisseau dans lequel le groupe occuperait le poste de commande et l’audience s’installerait en cabine. Une fusée à un étage donc !  Souvent, lorsque celle-ci est captée, la qualité faisant parfois défaut ou le format peinant à restituer l’authenticité du trip, le résultat déçoit tant et si bien que peu de concerts enregistrés très officiellement peuvent s’enorgueillir de cocher la case « mythique ». Il en existe certes mais de tous ceux-là, Happy Trails de Quicksilver Messenger Service se distingue tout particulièrement. Paradoxalement il fait partie de ces albums qui ont parfois été sujets de moqueries pour leur propension à diluer littéralement le propos, c’est-à-dire ce bon vieux rock’n’roll des familles, ce qui est le cas ici mais dans le bon sens du terme, vous le verrez. Du moins vous le lirez. 

Nous passerons sur ce détail vaguement polémique autour de la réalisation du disque qui fut bien enregistré live lors de deux sessions aux Fillmore East et West mais qui bénéficia d’un montage soigné et de quelques overdubs, pratique qui était malgré tout courante à l’époque. Cela explique aussi l’excellente qualité sonore du Lp, gravé en stéréo par les ingénieurs de Capitol ; le label avait fait les choses en grand. Il fallait au moins cela pour restituer la clarté du son san franciscain que quelques combos en vue comme QMS portaient alors aux nues. Rappelons en guise de présentation que le groupe est alors constitué du double attelage de guitariste, Gary Duncan et John Cipollina, le bassiste David Freiberg et le batteur Greg Elmore. Le disque peut paraître bref pour un concert, qui plus est venant d’une formation psyché, cinq morceaux au total mais le fait que la face démarre par la longue exploration de Who Do You Love ?, chanson initialement écrite par Bo Diddley, change ici la donne. Car le groupe a deux intuitions pour cette réinterprétation. La première est d’écrire chacune des sections (et ce malgré une simple déclinaison du titre : When You Love, Where You Love, How You, Which Do You Love) qui lui permettront d’étirer le morceau bien au-delà des formats en vigueur. La deuxième est de s’appuyer, pas tant sur le riff du morceau, mais sur son motif de percussion, ce que Greg Elmore fera très bien. Si la première partie installe le thème, la deuxième s’en affranchit à la vitesse de l’éclair et Gary Duncan de partir dans un chorus languide et cinglant qui marque le début de la transe (c’est ce dernier qui signe d’ailleurs la composition). Where You Love qui lui emboîte le pas, offre à Greg Elmore un véritable espace d’expression. C’est étrangement le moment pivot de cette longue et passionnante suite. Le savoir-faire du batteur qui varie alors les tempos, les couleurs lui permet de s’enticher de la foule qui finit par faire partie intégrante du morceau. Il ne s’agit pas seulement de vivats mais d’une communion pure et parfaite entre les musiciens et la foule comme si cette dernière les avaient rejoints sur scène. Difficile cependant de distinguer la réalité vécue dans l’audience et la teneur des ajouts en studio. Toujours est-il que la chose fonctionne parfaitement à l’écoute et fait même illusion. Une magie, un frisson, une épaisse vague d’émotion se lève et nous emporte. Cipollina reprend le lead et nous gratifie d’un solo immédiatement reconnaissable. Puis, c’est au tour de Frieberg de laisser parler sa basse ce qu’il fait à merveille. Les voix combinées assurent une transition idéale vers le thème initial et la face A de s’achever royalement dans un déluge d’électricité et de joie communicative. 

La face B n’est pas en reste, Mona du même Diddley s’étire sur sept minutes mais dans un registre plus lent, plus inquiétant, plus psyché aussi. Composées par Duncan, Maiden of the Cancer Moon et le flamenco acide de Calvary nous emportent dans un trip, au même titre que The Fool l’avait fait sur le précédent et tout premier album. Thème de Roy Rogers écrit par Dale Evans, Happy Trails clôt drôlement ce très grand disque, drôlement car le morceau peut se traduire par Bonne route. Alors que le voyage vient de s’achever. Mais Happy Trails l’album est de ceux que l’on repasse inlassablement pour en apprécier toutes les subtilités. La suite sera moins glorieuse malgré de très bonnes choses comme sur Shady Grove. QMS se perdra comme les sixties se sont achevées, dans un brouillard indistinct. 

Quicksilver Messenger Service, Happy Trails (Capitol Records)

happy-trails3.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=nzjXzBHP0gQ

 

 

 

 

 


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