Motörhead, light in the attack

par Adehoum Arbane  le 11.04.2023  dans la catégorie C'était mieux avant

Créés en 1498, les chevau-légers ont connu leur apogée lors des grandes batailles napoléoniennes, appelées d’ailleurs à l’époque "campagnes" comme pour en donner une vision bucolique alors que les champs étaient maculés d’un sang ennemi. À cette époque donc les chevau-légers sont plus légèrement équipés et armés que les autres corps de cavalerie, détail qui les différencie des autres cavaliers quand bien même ils remplissent des fonctions identiques : éclaireurs, garde de flanc, engagements limités. Mieux, ils ont la particularité, de par leur extrême mobilité, de fondre sur l’ennemi sans que ce dernier n’ait le temps de réagir. Avec les résultats que l’on imagine : sidération, défection. Existe-t-il dans le rock pareil formation capable de vous tomber dessus ? Cherchons bien. 

En 1979, alors que le punk est un doux souvenir et que le prog livre ses ultimes cartouches, le métal se porte plutôt bien. À cheval ou sans. Lemmy Kilmister qui fut de tous les combats – psyché et space rock – se lance deux ans auparavant dans une nouvelle aventure, une charge héroïque qui ne finira jamais enfin presque : Motörhead. Quatre ans plutôt alors qu’il vient de quitter Hawkwind, Lemmy Kilmister rêve de produire une musique aussi rapide et vicieuse que celle de MC5 selon ses propres mots. Il recrute un guitariste et un batteur, laissant les formations à rallonge qu’il avait précédemment connues. La sobriété, si l’on ose dire, est la condition ultime de la vélocité. Les choses bougent pour le jeune groupe, à commencer par les prétendants mais c’est Phil "Philthy Animal" Taylor derrière les fûts et "Fast" Eddie Clarke à la guitare qui forment le line-up mythique de Motörhead, celui du succès. Un premier album est mis en boîte en 77, la formule fonctionne. 79 donc, on y vient. L’année de Overkill et de son visuel annonciateur d’une esthétique qui fera florès la décennie suivante. Mais là n’est pas le plus intéressant s’agissant de ce disque fondateur à plus d’un titre. Ce qui nous saute aux oreilles plutôt qu’aux yeux, c’est la rapidité d’exécution de son entame nous ramenant à nos considérations liminaires. On croirait entendre un cœur battant la chamade au point de vouloir en percer le torse. Il a dans cette introduction de batterie une trépidation, une crise d’épilepsie qui se prépare, et la voix éraillée, dangereuse de Lemmy et les riffs sombres mais séduisants de Clarke n’arrangent en rien l’affaire. Cela vous tombe dessus comme la cavalerie, de celle que l’on n’attend plus mais qui, une fois entrée en scène, fait des ravages. 

Si la suite de la face A semble moins accélérée, elle n’en demeure pas moins impitoyable comme la lourdeur de Stay Clean qui relève du rouleau compresseur, un char d’assaut après la première charge. Pourtant Lemmy chante avec des accents attrayant, comme s’il désirait ressusciter la dépouille poétique de Morrison. (I Won't) Pay Your Price est un morceau middle of the road nous rappelant que Lemmy a grandi dans la culture blues, ce qui n’empêche pas la chanson de progresser avec la constance de la troupe, la force de volonté du fantassin, notamment sur le refrain. La guitare nous piétine, enfonçant nos visages dans la boue du champ de bataille. I'll Be Your Sister lui fait suite avec autant de hargne ; on y retrouve la même rigueur implacable annoncée dans les premières minutes. Capricorn s’occupe de clore cette première face et l’on ne peut s’empêcher de constater une certaine similitude dans la structure, l’esprit des morceaux qui ne dérange pas puisqu’elle apporte une forme de cohésion. À l’époque, la critique y voit une suite logique au premier Lp des Stooges. Aucune offense dans la comparaison. Capricorn et ses effets d’échos, sa trame mélodique basique mais envoutante impose sa propre personnalité, avec parfois des accents hendrixiens. No Class s’avère un retour en force des plus efficaces, ne ménageant jamais l’auditeur qui se trouve alors pris d’assaut, coincé, aculé même entre ce titre et le suivant, Damage Case. Co-écrit avec Mick Farren des Deviants, Damage Case ne baisse pas la garde, au contraire ! Il assène ses coups de baguettes et de riffs avec la précision du hussard. Malgré la violence de cette musique, il convient de rappeler pour les novices que Motörhead apparait dans sa plus simple expression comme un pur groupe de rock’n’roll ce qui ne lui interdit pas d’être résolument moderne, en témoigne le jeu de basse de Lemmy sur Tear Ya DownMetropolissemble calmer le jeu, notre trio se pose pour bivouaquer avant reprendre la bataille. Sur ce morceau plus ralenti, Clarke tisse des soli inextricables avec un certain savoir-faire. On sent que ces trois-là ont bourlingué, apprenant de leur précédentes expériences sans jamais sombrer dans la redite. Car en 79, ils ne sont pas beaucoup à sonner comme ça, crade, déglingué mais à la fois noueux, agile. Limb From Limb achève cet Overkill de la plus belle manière, sur une touche de sexe moite fort peu en accord avec les nouvelles conventions des années 2020. 

Mais qu’importe, Lemmy et sa bande ne sont pas des tartuffes. Le rock fut leur crédo, la franchise leur propre bible, alcool et drogue des guides idéaux pour sillonner ce chemin de traverse duquel ils ne dévièrent jamais. Il faut prendre le temps de revoir cette interview de Motörhead où Lemmy affirme que celui qui prétend que le rock est mort doit être « un trou du cul qui bosse dans un magazine ou à la télé. » Au-delà des formules chocs, les deux musiciens questionnés nous donnent une vraie réflexion sur le rock, son état d’esprit, faire chier les parents, versus le cirque et la parodie qui inonde les charts depuis toujours. Un tel franc-parler heurterait aujourd’hui en ces temps de politiquement correct mais Motörhead fut là pour nous rappeler que tout ceci n’a que peu d’importance. Seul compte le plaisir de jouer pour soi, pour les autres, pour le public. Le rock est peut-être une farce, c’est une fête, un mot de libération et de jubilation, sur une, deux ou plusieurs notes, peu importe en vérité. Motörhead le sait, l’a intégré et l’a restitué en musique. Et de façon fatale. Personne ne s’est jamais relevé d’Overkill. En même temps, avec un tel mot… 

Motörhead, Overkill (Bronze)

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https://www.deezer.com/fr/album/13944024

 

 

 

 

 


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