Paul & Linda, Rock et Fem

par Adehoum Arbane  le 17.01.2023  dans la catégorie C'était mieux avant

Avec Imagine, on prête à Lennon – et à son ombre, Yoko Ono – le statut d’icône révolutionnaire, d’imperator politique. À tort. Enfin, n’est-il pas le seul en cette année 1971 à inventer le monde de demain. Quand le couple Lennon-Ono opte pour le bed-in, Paul et Linda s’installent, le temps des vacances, dans une ferme d’Écosse – qui donnera son nom à une future chanson de Macca, “Mull Of Kintyre” – où ils passent du bon temps en famille. Ce tableau d’apparence banal, et même naïf, renvoie aux pires clichés de la culture hippie, toujours en vogue en ce début de décennie 70. Mais quelle est donc, au-delà de sa mystique évidente, sa particularité, osons le dire même sa vista ? 

Après la séparation des Beatles et la sortie de son premier album aux groseilles, Macca décide de prendre le mouton par les cornes. Alors que Imagine de Lennon a reçu des critiques élogieuses et que George Harrison a tout donné avec All Things Must Pass, McCartney et RAM n’ont guère été épargné. Qualifié d’inabouti par les uns, voire de sous-produit par les autres, RAM n’est pas au bout de ses surprises : un journaliste, alors en verve, affirmera, non sans mauvaise foi, qu’on aime cet album comme les troyens aimèrent le cheval avant de se rendre compte qu’il était creux et emplis de guerriers hostiles. Précisons d’abord que RAM n’est pas un album des Wings pas plus qu’il n’est signé Paul McCartney, à contrario de son précédent et premier essai en solo. C’est l’unique album de sa discographie qui porte le nom de Paul and Linda McCartney. Certes ce n’est pas Linda and Paul McCartney mais toujours est-il que cette mention d’apparence anodine en dit long sur la relation fusionnelle, d’égale et égale, du jeune couple, marié le 12 mars 1969. Commençons tout d’abord par préciser que cette mention ne vaut pas pour la forme et pour plusieurs raisons. Linda avant d’être McCartney s’appelait Eastman et, malgré son appartenance à la bourgeoise new-yorkaise, étudia les Arts à l’Université d’Arizona. Sa passion pour la photographie naturaliste lui offre un premier terrain d’expérimentation. Au début des années 60, elle travaille pour le magazine Town & Country. Une opportunité professionnelle l’amène à participer à une séance photos des Stones sur un yacht, au beau milieu de l’Hudson River. Ce sera le point de départ d’une carrière de photographe pop et d’un tableau de chasse des plus prestigieux : Jimi Hendrix, les Doors, les Who, Simon & Garfunkel, Dylan, Otis Redding et bien sûr les Beatles. C’est à ce moment qu’elle tombe sous le charme de Paul. 

L’idylle artistique qui en découle, en cette année 1970, se prolonge dans le processus de création et d’écriture qui leur permet de co-signer six des douze chansons du futur album. Lorsqu’ils entrent en studio, à New York puis à L.A., entre décembre 70 et janvier 71, Linda ne reste pas sans rien faire. Elle participe en toute logique aux sessions, assurant les harmonies vocales qui constituent un des points forts du disque. Parlons-en justement ! C’est un méli-mélo post-beatlesien qui porte la marque de Macca. Mélodies à la pelle, harmonies dans tous les sens, virtuosité décontractée et tentation pour le grandiose, tout y est. Ce qui frappe c’est avant tout l’esprit. Car ici, la luxuriance ne surplombe jamais.  Elle ne voile pas l’état d’esprit dans lequel les chansons ont été pensées, leur côté rural, roots sans pour autant sonner folk, encore moins blues. “3 Legs”, “Ram On”, “Uncle Albert/Admiral Halsey” ou encore “Heart Of The Country” donnent ainsi l’impression d’avoir été captées à la ferme, en Écosse. Bien sûr, les quasi-symphonies que sont “Uncle Albert/Admiral Halsey”, “Long Haired Lady” et le grand final de “Back Seat Of My Car” ont pu fort heureusement profiter des moyens de grandes structures comme les A&R Recording Studios de NYC et du Sound Recording de Los Angeles. Curieusement, ambition artistique et débauche technique n’ont pas empêché RAM de s’arrêter en si bon chemin, dans le genre précurseur de tendances. Ainsi est-il devenu pour la postérité un album « fait à la maison » alors qu’il n’en est rien. Pourtant, sa genèse doit beaucoup et nous l’avons déjà dit au mode de vie simple de la famille McCartney, éloignée pour le meilleur des turpitudes londoniennes. 

Plus encore qu’un disque féministe, il s’est transformé en album naturaliste, voire écologique, œuvre préfigurant un phénomène sociologique que les mois de confinement ont révélé : ce besoin de quitter les grands centres urbains que nous avions tous rejoints dans un aller sans retour vers la campagne, ce havre de paix fantasmé. Et pour en revenir à la pop, cette transhumance inversée aura fait naître un genre se distinguant plus par la forme que le fond : l’indie rock. Un système de création en circuit court, sans gros label, libéré donc des pesanteurs formelles et administratives. Et malgré lui, alors qu’il aura profité des savoir-faire de l’Industrie, RAM apparaît sans doute comme la toute première pierre de cette indépendance. Sans doute parce que McCartney s’était avant tout affranchi des Beatles afin de donner corps à ses plus folles idées. La suite l’aura d’ailleurs amplement démontré : malgré quelques scories, loin des Fab, Paul McCartney sera resté très Fort. 

Paul & Linda McCartney, RAM (Apple)

ram-packshot.jpg

https://tinyurl.com/mtymyecy

 

 

 

 

 


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