Grand Funk Railroad, la lutte finale ?

par Adehoum Arbane  le 20.12.2022  dans la catégorie C'était mieux avant

Le sentiment le plus commun à l’écoute d’un album est l’évidence, c’est-à-dire la manière dont il s’écoule en un fleuve paisible des vertes frontières du Canada vers les vastes citées avoisinantes dont l’impénétrable Los Angeles constitue une apogée par ses lacets de routes reliant des quartiers miniatures, îlots, refuges, où viennent se planter d’opulentes villas bourgeoises. Mais parfois, rarement – enfin pas si souvent peut-être – l’élaboration d’un disque relève de la lutte. Derrière son titre affable – en vérité ironique –, Good Singin', Good Playin', le neuvième album de Grand Funk Railroad peine à cacher les rancœurs. Imaginez ses musiciens pris dans la toile urbaine de L.A., chacun engagé dans une bretelle d’autoroute, vivant ses propres aventures. Parfois il se croisent, font des choses ensemble, écrivent, jouent, enregistrent puis repartent. Me direz-vous, c’est un peu à l’image de la vie, de nos vies. Un entrelacs de succès et d’échecs. 

Au-delà de la métaphore, les choses se sont presque passées ainsi. Mais revenons légèrement en arrière. En 1969. À cette époque, la concurrence est sérieuse et lorsqu’il se forme et commence à enregistrer, le groupe, qui se prénomme encore Grand Funk, n’est pas vraiment pris au sérieux. Il faut dire qu’à la toute fin des années soixante, le son californien dans ce qu’il a de plus gracile, donne le ton. C’est l’avènement des CS&N, de Neil Young en solitaire, de la belle Joni Mitchell etc. Autant dire que pour nos mercenaires du blues, le démarrage peut sembler difficile. Et pourtant, Capitol les suit (du moins les signe). Rapidement, la formation se met en branle et prend de la vitesse. Au fur et à mesure des albums, un organiste monte à bord, même Todd Rundgren fera partie du voyage le temps de deux albums, We’re An American Bandet Shinin’ On. Le succès est au rendez-vous. Mais au mitan de la décennie, Grand Funk Railroad ressemble au train fou du film Runaway Train. L’équipage semble quelque peu usé par les tournées, les dissensions et le terme du contrat qui les lie à Capitol. Il leur faut encore deux albums. Ce seront le double live Caught In Act et le prémonitoire Born To Die qui très ironiquement les montre photographiés de haut, chacun allongé dans un cercueil. Le groupe se sépare. Nous sommes en 1976. 

C’est à ce moment précis que Frank Zappa entre dans l’histoire. Le célèbre et anti conventionnel moustachu n’est jamais là où on l’attend. Fan du groupe depuis toujours, il les appelle et les convainc de se reformer pour un nouvel album qu’il produira. Sur ces nouvelles bases prometteuses, MCA Records leur propose un contrat. Les sessions commencent. Don Brewer, le batteur, constate que Zappa partage avec eux la même vision du rock’n’roll. Énergie et authenticité seront les maîtres mots de ce neuvième opus. Plus tard, Zappa déclarera s’être borné à capter de façon documentaire le son du groupe de telle sorte que les auditeurs pourront, pour la première fois sur disque (!!!), entendre Grand Funk Railroad. Alors que le groupe s’apprête à attaquer les overdubs, les quatre musiciens marquent le souhait de se séparer à nouveau – souvenez-vous la métaphore des autoroutes de L.A. qui se croisent et s’évitent. La légende dit que ce soir-là, Zappa tentera de les dissuader, argumentant sans relâche jusqu’à quatre heures du matin ! L’album sortira finalement, alors que le groupe n’existe déjà plus, et fera fort logiquement un flop. Mais au fond, comment sonne-t-il au final ? Est-il à l’image de ce que voulait Zappa en matière de sincérité ? Difficile à dire. Disons que ces bucherons du rock se rêvaient sans doute en séraphins pop. Au grand dam de leur producteur. 

Good Singin' Good Playin' porte finalement bien son nom. L’album s’ouvre sur une pop song idéale, l’enjôleuse “Just Couldn't Wait”. “Can You Do It” qui lui emboîte le pas sonne comme un rock efficace quoique basique, sans génie. L’album n’aura de cesse d’évoluer entre ces deux routes. “Pass It Around” a plus d’allure, préfigurant sans le savoir les grandes chansons hard pop des eighties. “Don't Let 'Em Take Your Gun” et son titre ambigu sonne comme une soul song postiche. La face A se referme sur les sept minutes de “Miss My Baby”. Malgré l’indigence des paroles – Grand Funk n'est pas Dylan à l’évidence ! –, la chanson se tient plutôt bien, franche et sincère, tendre et virile à la fois, comme une promesse de réconciliation entre néo-féministes et masculinistes. L’interlude crétin de “Big Buns” a pour mission d’ouvrir la seconde face qui, malgré l’état de crise qui règne au sein du groupe, démarre tambour battant pour ne plus jamais décélérer. “Out To Get You” est un must, un moment de folie totale avec ses chœurs hystériques et son solo de guitare interprété par Zappa lui-même ! Il y tenait, il l’a fait. Les paroles se limitant au refrain chanté dans les aigus, le choc est frontal, l’impact total. Bim, ça enchaîne sur le mid-tempo de “Crossfire” chanté sur un mode glam hard qui invente avec treize ans d’avance le style Guns’N’Roses. Pas question de laisser la pression redescendre, le quatuor poursuit avec le tourbillonnant “1976”. Le final tout en étincelle laisse présager d’une accalmie, or il n’en est rien. “Release Your Love” fait le pont avec le final grandiose “Goin' For The Pastor”. Comme si la face A n’avait été qu’un innocent tour de chauffe. La fin de couplet et le refrain valent à eux-seuls le détour : 

(…)

I'm gonna' set your little heart on fire. yeah.

'Cause when I'm thinking of you.
Thinkin' about you.
My heart beats faster I'm goin' for the pastor.
I got me a love and I'm gonna' make it last, girl.

La chanson se termine sur un fade-out, formidable idée destinale et vespérale. Car Grand Funk vit son grand soir et les visages prétendument heureux, accolés les uns aux autres de façon forcées, peinent à masquer la réalité des choses. Le Railroad est out… of the rails. Mais en un dernier album, grâce à un producteur opiniâtre (“I'm goin' for the pastor”, c’est à n’en point douter lui, Frank Zappa), aura réussi à bien chanter, bien jouer. Bien joué ! 

Grand Funk Railroad, Good Singin' Good Playin' (MCA Records)

good-singin.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=bA1g3-AX-aI

 

 

 

 

 


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