Gaspard de la nuit

par Adehoum Arbane  le 13.12.2022  dans la catégorie A new disque in town

Pas besoin du Elvis de Baz Luhrmann, de sa reconstitution débordant d’affèteries, ivre de ses coquetteries. Non. Nul besoin de se réfugier dans le passé même s’il nous appelle, telles les sirènes Ulyssiennes. Il faut affronter le présent. Et même accepter d’entrevoir l’avenir. Cet avenir, nous avons constaté sa réalité hier soir, par une froide nuit de novembre qui aurait pu nous décourager. Nous l’avons admiré sur la scène petite et donc intime du Point Éphémère. Il s’appelle Gaspard Royant. Premier paradoxe quand on sait que le jeune rockeur s’est fait connaître en exhumant, non sans pertinence et actualité, l’esprit fifties, voire celui du début des années soixante, quand les grands labels soul donnaient le la de la pop occidentale. En un show survolté, Royant a fait voler en éclats tous ces falbalas poussiéreux, et toutes nos certitudes avec. 

Ici, devant son public, l’homme semble à l’aise, brillant dans le costume de son assurance, osant, dans ses interventions d’entre deux morceaux, la taquinerie avec celles et ceux qui sont venus s’offrir au chanteur, comprendre danser. Au moment où le set démarre, nous ne connaissons qu’approximativement la matière de son quatrième album, sorti en mai dernier, The Real Thing. Paresse de critique, oubli humain, mépris feint ? Rien de tout cela. Premier constat et nous nous arrêterons là dans les citations à bon marché. Chaque chanson sonne comme un générique de James Bond retenu haut la main par un parterre de producteurs énamourés. Gaspard Royant en est donc là. Pas mal, me direz-vous. Assisté par un band étourdissant, Royant propulse nouveaux et anciens titres au paradis des noctambules, ça bouge, ça sue, ça se prend par la main, ça s’embrasse même – authentique –, bref ça envoie ce qu’il faut de lourd pour égayer un début de semaine passablement engourdi. Bien sûr, le répertoire fait la part belle à The Real Thing, l’album et la chanson qui ont ainsi les honneurs dus à leur rang. Deuxième constat, les morceaux sonnent comme des tubes stadium, à la Robbie Williams mais avec ce plus mélodique de ceux qui connaissent leur histoire de la pop sur le bout des doigts. “To The Stars”, “The Real Things”, “M A N”, “More”, “We Wanted the World” en font bien sûr partie. Enfin, l’écrin sonore dans lequel ces chansons sont proposées montre que Gaspard Royant a bien compris la leçon des temps modernes qui consiste à en être ! 

Du concert, nous glissons fort logiquement au disque en lui-même. Du quasi noir et blanc scénique, obscurité timidement illuminée par une brume laiteuse, artificielle, au rose cocktail de la pochette où l’artiste parade crânement en chemisette floridienne. Nous évoquions cette évolution dans l’écriture, cette volonté pour l’artiste de continuer son petit bonhomme de chemin, mais plus haut, dans les étoiles, plus loin dans l’ambition (qui paraît-il est un vampire) et c’est bien cette impression qui avait surgi live pour repointer le bout de son nez à l’écoute intimiste du disque. Mais pour Royant, cette envie d’un succès bigger than life passe nécessairement, et c’est en cela que la démarche est intéressante, par une maturité plus grande, éloigné des gimmicks faciles de ses contemporains. Pour ses nouvelles compositions, Royant a fait appel à l’écrivain anglais Stephen Clarke qui vit d’ailleurs en France. Un regard extérieur sur des sujets que l’artiste sait délicats mais pour lesquels la proximité (donc la complicité) permet d’en désamorcer le trop plein de sérieux. Détail qui évite à Royant de sombrer dans le pontifiant tout en remplissant son objectif de hauteur de vue. Ce parti-pris est transfiguré par des mélodies universelles qu’on jugerait avoir déjà entendu – mais non ! – et une production novatrice qui évite le piège de la prétention. C’est cet équilibre miraculeusement trouvé qui confère à The Real Thing sa puissance, son immédiateté et un passeport direct pour l’éternité. Dans quelques décennies, on exhumera ce disque tout comme le monolithe de 2001, et celui-ci apparaîtra dans toute sa splendeur. 

Alors, The Real Thing nous parle du futur (de l’homme) mais qu’en est-il de celui de Gaspard Royant ? Difficile d’y répondre, seul notre artiste sait – ou ne sait pas – où il se dirigera. Une chose est sûre, la voie est dégagée, l’horizon clair. Conservera-t-il sa ligne anglo-saxonne ou se risquera-t-il en territoire francophone ? Restera-t-il dans la zone de confort d’une pop tirant sur la soul ou tentera-t-il l’aventure Steinway, comme les plus grands singer-songwriters avant lui ? A lui de nous le dire, mais ça, nous le verrons au prochain disque, au prochain live. 

Gaspard Royant, The Real Thing (Bellevue Music)

real-thing1.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/314483647

Photo : Julien Bourgeois

 

 

 

 

 


Top