MGMT, pop art

par Adehoum Arbane  le 29.11.2022  dans la catégorie A new disque in town

MGMT, quinze ans de carrière, seulement cinq albums dont un ratage (MGMT sorti en 2013) et ce live. Mais pas n’importe quel live. Un concert événement, enregistré au Guggenheim de New-York à l’occasion d’une exposition de l’artiste contemporain Maurizio Cattelan intitulée “ALL”. Nous allons y revenir. Cela peut sembler un détail, mais MGMT n’est pas tout à fait un groupe, c’est un duo qui s’entoure de musiciens de studio, quand il ne fait pas tout lui-même. Comprendre, il ne fait rien comme les autres (graver une première œuvre bourrée de tubes et ne pas réitérer l’exploit par exemple). Malheureusement pour ceux qui les suivent et les aiment, ils espacent de plus en plus les albums même si parfois, un E.P. bien garni vient calmer les impatiences. Ils ne sont pas les seuls à procrastiner ainsi – souvenons-nous à contrario que les Beatles sortaient un voire deux albums par an. 

Mais ce qui différencie MGMT de la masse tient à une réelle singularité qui les préserve ainsi de la copie quand ces derniers revisitent une époque. La chose est encore aujourd’hui frappante à la réécoute de Congratulations, douze ans après. Qu’il s’agisse de leurs voix enfantines malgré les transformations de leurs corps, passés à l’épreuve du temps, de cet art de la composition bringuebalante où un refrain peut attendre le pont pour surgir ou encore de leur instrumentation qui place les claviers sémillants en premier plan, tout en conservant une fraîcheur synthétique que peu de leurs fades concurrents obtiennent avec tous les efforts du monde. Enfin et disons-le, ce sont de purs mélodistes. “Time to Pretend”, “Weekend Wars”, The “Youth”, “Electric Feel”, “Song For Dan Treacy”, “I Found A Whistle”, “She Works Out Too Much”, “When You Die”, “Me and Michael”, “When You're Small”, “Hand It Over”. Autant de citations, d’exemples, au sens de l’adjectif exemplaire, attestant de leur don pour la chanson pop parfaite après laquelle courent tous les autres. Nos deux alchimistes se paient même le luxe de décliner le mantra pop au travers de mini-opéra à l’image de “A Quick One” des Who. L’un se trouve sur un Lp, et il s’agit du mémorable “Siberian Breaks”. Quant à l’autre, il a été publié en E.P., l’année qui suivit la sortie de Oracular Spectacular. Véritable trait d’union entre deux périodes, “Metanoia” s’impose comme un premier chef-d’œuvre annonciateur des recherches à venir, loin des tubes électro-pop du premier album dont il se nourrit cependant, ajoutant à son tableau la netteté dance. Chose frappante sur ces deux suites, Andrew VanWyngarden et Ben Goldwasser n’apparaissent jamais comme des virtuoses à la manière des Hendrix, Page ou d’un Keith Emerson mais s’apparentent plutôt aux génies du son du West Coast Pop Art Experimental Band avec qui ils partagent les mêmes marottes. Orfèvrerie sonore, équilibre entre délirium psychédélique et limpidité harmonique, timbres graciles ne sont pas là leurs moindres qualités. Ces aspects saillants chez MGMT leur viennent à n’en point douter de leurs années d’étude à la Wesleyan University, école fort libérale balayant tous les domaines dont la littérature et les arts au sens large. Ceci est fondamental pour expliquer la suite. 

La suite, c’est donc cet enregistrement live, gravé le 11 novembre 2011 d’où son titre 11•11•11. Le fait qu’il sorte onze ans après montre à quel point la dimension conceptuelle est partie prenante du travail de MGMT dont l’Œuvre – la discographie ! – prend alors forme sous nos yeux. Comme nous l’avons dit, MGMT n’est pas un groupe revivaliste mais fondamentalement moderniste si l’on ose dire. Il sait parfaitement digérer la somme de ses influences pour en faire un tout original et autonome. Cette logique est poussée encore plus loin avec ce concert. Bien évidemment ce dernier synthétise les trois axiomes du groupe. Mais là où ce dernier innove tient au fait que le concert n’est pas une bête addition de morceaux déjà enregistrés et sortis, donc connus. Nos deux têtes chercheuses ont conçu, entendre composé et arrangé, ces titres de façon parallèle, voire subordonnée. Ainsi, la musique ne peut pas prendre l’ascendant sur l’œuvre de Cattelan, elle lui est forcément complémentaire. Pas de réelles chansons mais, dans la première partie de la performance, des thèmes concis et lisibles, quasi tous instrumentaux, traversés çà et là de séquences chantées, même dans les passages les plus longs. Tant et si bien que 11•11•11 pourrait être leur véritable troisième album, bien qu’il ne soit pas non plus un album à part entière. C’est d’ailleurs sa qualité. Lui manque les quelques tubes que sont “Alien Days”, “Introspection” de Faine Jade, dans une moindre mesure “Your Life Is A Lie” et “Plenty Of Girls In The Sea”. Mais l’expérience se vit telle quelle, avec ses forces et ses limites. Elle possède cependant la vertu de montrer un groupe aussi à l’aise sur scène qu’en studio, ne trahissant jamais leur statut de bidouilleurs. La prise de son est incroyable, quasi virginale, rien ne vient la déflorer et ce sont les vivats du public qui nous tirent de cette rêverie et nous ramènent à la réalité du live. Perception – terme étrange compte tenu de la dimension quasi lysergique du set – troublée par la durée de l’ensemble, plus conforme aux enregistrements studios. Cette concision permet à MGMT d’échapper à la démonstration prétentieuse, boursouflée qu’un projet de cette ampleur aurait pu immanquablement générer. Mais Andrew et Ben ne sont ni des faiseurs ni des poseurs mais bien des artisans respectueux et méticuleux, en plus d’être inspirés. L'enchaînement “Invocation”/“Whistling Through The Graveyard”/“Forest Elf”/“Tell It To Me Like It” relève de la perfection, léger (les trois premiers titres) et complexe à la fois, surtout la longue mélopée Curiste de “Tell It To Me Like It”. S’en suivent “I Am Not Your Home/Unfriend/Who's Counting”, bloc de transe qui convient bien aux deuxièmes faces. Dans ces échappées belles et franches, MGMT sonnerait presque comme une formation allemande des années 70, comme un Tangerine Dream revitalisé. La musique s’y déploie ou se déplie comme dans un tableau de MC Escher. Le coup de maître, car c’en est un, est de réconcilier métallique et organique, maîtrise et divagation, beauté et fulgurance. C’est ce qu’a cherché à faire toute sa vie le Grateful Dead sans réellement y parvenir. MGMT réalise leur vœux, incarner le psychédélisme dans sa chair sans trahir son esprit. Les drogues circulaient-elles ce soir, parmi les musiciens et dans la foule ? On peut légitimement s’interroger. Quant à Maurizio Cattelan, on aura oublié entre temps le bouffon transalpin de l’art contemporain. MGMT est l’Art Contemporain. 

MGMT, 11•11•11 (MGMT Records)

11-11-111.jpg

Introduction

Invocation

Whistling Through The Graveyard

Forest Elf

Tell It To Me Like It

I Am Not Your Home

Unfriend

Who's Counting

Interlude

Whistling Past The Graveyard

Under The Porch

https://www.deezer.com/fr/album/368431087

 

 

 

 

 


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