10CC et 7 CS

par Adehoum Arbane  le 22.11.2022  dans la catégorie C'était mieux avant

Les années 70 ne sont pas celles du cynisme comme on le croit. À minima celles de la désillusion. Mais en restant sous ces bornes-là, nous semblons loin du compte. Qu’il s’agisse du progressif, du glam – même si les intentions étaient louables –, du hard rock (anglais comme américain avec les shows de Kiss) ou du soft rock – on ne parle même pas de la déferlante disco –, l’argent qui coulait à flot, tout comme les drogues d’ailleurs, a pu laisser penser que seule les intérêts commerciaux primaient. Mais on oublie parfois, souvent même, que les seventies pop furent une décennie généreuse, parfois tendre entre les lignes. On ne songe pas ici à la douceur introspective des singer-songwriters, baladins des vaux californiens, mais à un groupe anglais en particulier, fougueux et élégant qui s’afficha ainsi, contre vents et marées. Nous parlons de 10cc. 

Pourtant leur patronyme, par sa référence séminale (pour une fois le terme est justifié !), ne laissait augurer rien de bon. Comme un précipité de toutes les prétentions et boursouflures de l’époque. La musique du quatuor prit avec les années une ampleur, une densité, toucha des sommets de sophistication tels qu’on aurait pu hâtivement la classer dans la catégorie « pompière ». Or il n’en est rien , enfin pas tout à fait en ce sens. Si l’on prend le temps d’écouter la série d’albums publiée entre 1973 et 1977, 78 à la rigueur, on s’autorisera l’analogie suivante, à la fois formelle et intellectuelle, mais aussi bien sûr temporelle. 10cc, ce sont un peu les Claude Sautet de la pop anglaise. Dit comme ça, on est saisi par l’envie de la rature, du coup de gomme définitif et puis, tiens, non. Les mots sont pesés. L’axe 10cc/Sautet se joue sur plusieurs niveaux nous l’avons esquissé mais il convient d’approfondir ce pavé que nous avons lancé dans la marre de l’analyse. Pour faire court, la carrière de Claude Sautet s’étale génialement sur quatre décennies, des débuts en 1960 avec Classe tous risques aux années 90, avec Un cœur en hiver et Nelly et Monsieur Arnaud. Soit treize films, ce qui peut sembler peu mais qui compte car il n’y a dans la filmographie de Sautet aucun faux pas. La grande période du cinéaste demeure sans conteste les années 70 où il aligne ses chefs-d’œuvre, de Les choses de la vie à Une histoire simple, son dernier film avec et commandé par Romy Schneider. Sans tomber dans les poncifs, ces œuvres parlent d’amitiés, d’amour, de séparations, de mort aussi, comme un condensé de cette existence et de ses lois qui la régissent, sur toile comme dans la vie réelle. 

De son côté, 10cc vit sa période la plus féconde de Sheet Music à Bloody Tourists même si ce dernier ne fait pas réellement le poids face à son prédécesseur Deceptive Bends.  Tout comme Sautet, les albums racontent des histoires simples, la plupart du temps sur un ton caustique – très anglais ! – hautain et moqueur. Mais là aussi il convient de décoder les chansons, tant les paroles que la musique. Car derrière le rideau de velours du byzantisme, la scène apparait souvent dans sa plus nette crudité. Si l’agitation qui règne dans “One Night In Paris”, sa truculence non feinte, font penser aux ambiances dans Garçon !, “The Film of My Love”, sur le même album, renvoie de manière subliminale à l’Œuvre de Sautet. Prenez How Dare You !, considéré comme le magnum opus du groupe, nombreuses sont les références inconscientes au cinéaste français distillées çà et là. “I’m Mandy, Fly Me” pourrait faire pense à Mado (sorti la même année !), étudiante prostituée dont Michel Piccoli est épris. « Don’t Hang Up ! » et sa conversation téléphonique solitaire n’a-t-il pas à voir avec celle qu’adresse le même Piccoli à Romy Schneider dans le poignant Les choses de la vie ? Dans Mado, on voit nos personnages dans leur intimité la plus cadrée, parfois nus, en chemise de nuit ou tout simplement débraillés, comme l’épouse en larmes de la pochette de How Dare You !. Sur Deceptive Bends qui voit deux des leaders partir, Lol Creme et Kevin Godley, dans une geste sautéenne du plus bel effet, les passerelles se multiplient. “The Things We Do For Love” de par son titre en est l’exemple le plus flagrant mais “Marriage Bureau Rendezvous” pourrait être un bon résumé de César et Rosalie, quant à “People In Love”, ce mot “People” dit tout du cinéaste qui n’aimait rien tant que de filmer les foules, les groupes, les gens, la vie fumante, trépidante, pleurante, riante, ivre parfois mais toujours digne. Idem pour “Honeymoon With B Troop” dont les paroles auraient pu être jouées par un Yves Montand goguenard mais paumé sans sa Rose : 

“My baby, goes topless
And brings her beauty to a bottomless day
She's bathing, al fresco
And all her mystery is there on display

So, don't get too close
Oh she's so fine, and you know what's mine is mine

Ooh, it's a drag when you're hitched to a dream
And the boys in the gang
Think she's part of the scenery
You're never alone and the tension is painful to see

One night I, crept in and
Got on my knees and tried to make her my wife
One reef knot, two grannies
And we were bound to stay together for life

Now we'd like to”

Seuls les trois derniers films de Sautet, le Chabrolien Quelques jours avec moiUn cœur en hiver et Nelly et Monsieur Arnaud,  pourraient mettre un terme à cette fantaisie critique. Surtout Un cœur… et Nelly… dont la sobriété et le caractère presque protestant nous éloignent de la généreuse grandiloquence de 10cc. Vous l’aurez compris, les films de l’un comme les albums des autres sont des créations tempêtueuses et contrastées, tantôt illuminées d’un soleil de mars, tantôt traversées d’ombrageux nuages, mais conservent leur charme suranné, leur personnalité attachante. Et peut en toute logique prétendre à l’immortalité (artistique), cette autre chose de la vie ! 

10cc, Sheet Music, The Original Soundtrack, How Dare You, Deceptive bends (UK Records -Mercury)

sheet-music.jpg the-ost.jpg

how-dare.jpg deceptive-bends.jpg

https://tinyurl.com/yeak2cmj

 

 

 

 

 

 


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