Dukes of Stratosphear, un beau Romand

par Adehoum Arbane  le 07.06.2022  dans la catégorie C'était mieux avant

Jean-Claude Romand n’est pas seulement connu du monde judiciaire. L’affaire qui porte son nom a franchi les frontières de la culture populaire. Pour mémoire, pendant dix-huit longues années, Romand aura menti à ses proches, se faisant passer pour un médecin. Alors qu’il arrive au bout de son mensonge, privé de ressources financières et suspecté par sa femme, celui-ci finit par la tuer, elle, leurs enfants et ses parents. Voilà. Le but n’était pas de plomber l’ambiance mais bien de démontrer qu’une entreprise de travestissement de la vérité n’est pas réservée qu’aux criminels. Fort heureusement, la Pop s’est parfois amusée à inventer des mythes de toutes pièces, et ce pour des raisons diverses, artistiques, contractuelles ou marketing. Dans le contingent des pastiches, parodies et autres duperies, il en est une qui retient notre attention. La voici. 

The Dukes of Stratosphear. Leur histoire tiendrait presque de la Nursery Rhymes tant elle est rocambolesque. Novembre 84, alors que le succès de leur septième album, « The Big Express », est tout relatif, Andy Partridge et Colin Moulding décident de réactiver un projet datant de 79 : écrire et produire des chansons psychédéliques dans le moule des années bénies 67 et 68. Ils profitent d’une session d’enregistrement avortée – ils devaient produire le premier album de la chanteuse Mary Margaret O’Hara – pour graver le matériel existant, en vérité des bouts de chansons que Partridge avait conservé dans un coin de sa tête. Ainsi débutent les sessions de 25 O’Clock. Mais faute de temps, le groupe accompagné à la batterie du frère de Dave Gregory (exit Terry Chambers) ne grave que six titres. Peu importe, l’idée est là. Pour aller jusqu’au bout de leur démarche, ils enregistrent autant que faire se peut sur des instruments d’époque et déclinent tous les codes en vigueur : farfisa, guitar fuzz, effets divers et variés comme les bandes inversés, échos… Mieux, ils vont jusqu’à adopter des patronymes aussi obscurs que différents afin de brouiller les pistes. Le Lp lui arbore un design formidablement psyché, déclinant à merveille le style de Disraeli Gears signé Martin Sharp. Enfin avec la complicité de leur label Virgin, le mini album est présenté comme un trésor exhumé du tréfonds des sixties. Le procédé est gros mais la mayonnaise acide semble prendre. C’est un succès qui dépasse de loin les chiffres de ventes des disques de XTC. L’année d’après, XTC assume son tropisme psyché sur un album officiel : « Skylarking ». Malgré la qualité musicale du disque et la présence de Todd Rundgren à la production, ce dernier s’écoule dans des proportions moindres que « 25 O’Clock ». 

Résultat, nos musiciens ressortent leurs costumes ducaux des malles ! En 87, le groupe publie un album plus consistant, Psonic Psunspot. Réception plus que favorable, pour ne pas dire engouement populaire ! Et la musique dans tout ça ? Que vaut cet amalgame discographique, volontairement travesti ? Précisons d’abord que loin de l’intention initiale et des influences citées par Partridge – le Pink Floyd de Syd Barrett, Tomorrow et l’éphémère combo australien The Moles –, les deux œuvres sonnent comme un puzzle d’inspirations habillement mélangées. Bien qu’anglais, les Ducs de la Stratosphère, s’ils n’abandonnent pas leurs amours Beatlesiennes, lorgnent aussi et surtout vers l’Amérique des années 67-68, à l’époque où le psychédélisme le plus chimiquement pur battait son plein. Sur le morceau titre « 25 O’Clock », on perçoit dans le son de l’orgue et le solo de guitare les tourments acides dépeints par des groupes comme Freeborne, Front Page Review ou les Electric Prunes. Bien sûr, une certaine fantaisie toute britannique prévaut et on retrouve celle-ci sur « Bike Ride To The Moon », « What In The World?? » ou dans le refrain de « Your Gold Dress ». C’est sur « Psonic Psunspot » que l’évolution est plus notable. Là, les Dukes explorent avec conscience tout un pan de la Sunshine Pop californienne dans la plus pure tradition de groupes tels que les Beach Boys, les Strawberry Alarm Clock ou encore – et moins connu – The Mystic Astrologic Crystal Band. Si « Have You Seen Jackie? » ou « Collideascope » en reviennent au mantra syd barrettien, la suite continue de lorgner vers la Californie du Sud. Ainsi va « You're My Drug » qui démarre comme une chanson des Byrds (« So You Want to Be a Rock 'N' Roll Star ») pour migrer vers un psychédélisme éthéré façon Spirit. Alors que « Shiny Cage » et « Brainiac's Daughter » pastichent subtilement les Fab avec une petite référence aux interludes récités de « Ogden's Nut Gone Flake » des Small Faces, « The Affiliated » et surtout « Pale And Precious » nous rappellent les meilleurs moments de « SMiLE » des Beach Boys. 

Bref et vous l’aurez compris, « 25 O’Clock » et « Psonic Psunspot » constituent d’un strict point de vue pop un formidable syncrétisme atlantiste. Sans doute les auditeurs ne l’ont-ils par perçu comme il avait été pensé, si celui-ci fut clairement conceptualisé dans les esprits féconds de ses créateurs. Toujours est-il que la jeunesse anglaise lui a massivement accordé ses suffrages. Malgré sa pochette chatoyante, faisant songer à la fameuse compilation « A Collection of Beatles Oldies », Oranges & Lemons sonne par moments à l’image du pire Bowie des 80s. Fini, la magie enfantine, les collages baroques et les mélopées enivrantes. Un beau Romand, une belle histoire dans laquelle il n’est pas interdit de replonger ! 

The Dukes of Stratosphear, 25 O’Clock- Psonic Psunspot (Virgin)

the-dukes-of-stratosphear-25-oclock.jpeg

https://www.youtube.com/watch?v=xGF7o_I4mAw

 

 

 

 

 

 


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