Steppenwolf, cœur de loup

par Adehoum Arbane  le 17.05.2022  dans la catégorie C'était mieux avant

Les arguments d’autorité à propos du Masculinisme peinent à masquer une réalité, pour le coup navrante : l’Homme de 2022 n’est plus celui de 1969. Tant mieux répondront certains mais il n’en demeure pas moins que les figures aventureuses d’Easy Rider incarnées par Peter Fonda et Dennis Hooper, chevauchant leurs bolides de l’enfer, paraissent bien plus chevaleresques, nobles et séduisantes que des bobos droits et barbus sur leurs trottinettes électriques. Cette confrontation symbolique n’a sans doute que peu de valeur. Cependant, elle nous fait passer un message clair : toute une culture s’est ainsi progressivement effacée, même s’il existe encore quelques bastions résistants. Ainsi, en 1969, on s’échauffait sur des riffs impitoyables, on rêvait de renverser chaque jour la table du conformisme, on vibrait dans les stades en une communion qu’on ne retrouve guère dans l’époque que nous vivons, plus confortable certes mais parfois bien triste sur le plan des idées. Il ne s’agit pas de voir dans ces modèles malgré tout antiques l’existence d’un Patriarcat pour lequel nous serions nostalgiques mais bien l’incarnation d’un imaginaire, d’un esprit de rébellion – même si celui-ci fut parfois tenté de naïveté – qui contribua à l’émancipation de la jeunesse, celui qui aujourd’hui se heurte à l’unique et insipide réplique du « Ok, Boomer ». 

Parmi les groupes extrêmement populaires qui parlent à l’Amérique adolescente – on citera aussi Creedence, Vanilla Fudge, les Doors ou Jefferson Airplane, ne l’oublions pas – l’un d’entre eux se détache : Steppenwolf. Précédant les sanguinaires seventies – sur le plan musical comme sociétal –, les musiciens du Loup des Steppes ont posé les bases d’un son et d’une esthétique sans lesquelles les sixties ne seraient pas tout à fait les sixties. Certes, ces dernières font immédiatement résonner dans les esprits le mot « hippie » et son cortège de breloques plus ou moins datées, pour ne pas dire ridicules. Considération assez légitime qui n’empêchera pas John Kay, leader de Steppenwolf, de déclarer au début son célèbre album live datant de 1970 : « Greetings to you, friends of Peace ! » Cette marque de politesse à l’adresse du public a valeur de promesse esthétique s’agissant du tout premier album de Steppenwolf. Malgré le style qui semble alors régir l’acte de naissance du jeune groupe, un proto hard irrésistible, le quintet épouse cependant les codes de l’été de l’amour. Sur la pochette, on découvre nos musiciens dans un halo éthéré, tous superbement vêtus de chemises à fleurs, de coliers et de gris-gris dans la plus pure tradition mystico-toc. Elle annonce « Steppenwolf » avec en dessus un gros rectangle promotionnel où l’on peut lire « Including the hit : BORN TO BE WILD » en lettres capitales. Né pour être sauvage. Nous sommes prévenus. Pourtant, le groupe signé par Dunhill – fondé par Lou Adler et distribué par ABC – entre en studio à l’automne 67, comme pour donner une dernière chance à l’été de l’amour qui ressemble déjà à un vieux rêve remisé. Steppenwolf fonctionne autour du trio indéfectible que constitue John Kay, leader, compositeur et parolier, le batteur Jerry Edmonton dont le frère Mars fournira le fameux Born to be Wild et l’organiste Goldy McJohn. Michael Monarch à la lead guitar et Rushton Moreve à la basse complètent le dispositif. Ces deux-là joueront sur les trois premiers albums avant d’être remplacés par Lary Byrom à la guitare et Nick St Nicholas à la basse, tout deux membres du groupe T.I.M.E. (Trust In Men Everywhere) qui sortira en 68 et 69 deux très bons albums de blues rock psyché. 

Ce premier disque est fondateur, et ce pour plusieurs raisons. D’abord il synthétise à merveille la formule inventée par Steppenwolf que le groupe déclinera sur tous ses disques sans jamais dévier de sa route. Soit un hard rock naissant, cool en diable et aux accents funky. Signature qui s’exprime au mieux sur la reprise qui ouvre l’album, « Sookie Sookie ». Chaque instrument se fond dans un maelström de plomb en fusion mais avec cette agilité, ce sens du rythme, quasi une forme de swing. La voix grave et profonde de Kay emballant le tout comme le meilleur papier cadeau. La formule est savemment dosée et sans échapatoire. « Everybody's Next One » qui lui emboîte le pas surprendrait presque avec son orgue binaire, à la frontière du krautrock. La mélodie précise comme un coup de couteau et la rythmique enlevée nous ramènent illcio à L.A., Californie. Pourtant signé de la plume de John Kay, « Berry Rides Again » est un morceau plus conventionnel, fort éloigné de l’esprit biker qui prévaudra sur les morceaux suivants. Peu importe, il assure la parfaite liaison avec « Hoochie Coochie Man », chanson du grand Willie Dixon et transfigurée ici par le quintet. Parenthèse ouverte pour préciser que ce titre sera repris par un autre groupe de L.A. qui doit beaucoup à Steppenwolf, Dragonfly. Peut-être l’interprétation de Dragonfly s’avère supérieure à celle de leurs maîtres. On vous laisse juge. Bam, déboule le fameux « hit » et quel hit ! « Born to be Wild » est l’un des quelques titres figurant inlassablement dans toutes les B.O. de films sur les 60s faits pendant les 60s et après ! Tout y est parfait, la mélodie, le texte, le chant, le riff enrubanné en suite par le solo d’orgue syncopé mais sexy de Goldy McJohn. Le genre de chansons qui vous donne envie de porter des pantalons en cuir et des Beatle Boots. « Your Wall's Too High » clot cette première face sur un double tempo, banalement blues sur le couplet, steppenwolfien sur le refrain. C’est là son génie. Cinq minutes et quarante secondes extatiques avant de passer à autre chose. Et autre chose, c’est la face b, bien sûr ! 

Galette retournée, on n’est toujours pas déçu du voyage. Même si ce dernier fait escale en des terres plus avenantes, le temps d’une ballade mémorable, le majestueux « Desperation ». Et là, encore une reprise mais pas n’importe laquelle. « The Pusher » est mythique à plus d’un titre. Un, tout comme « Born to Be Wild », elle figure au casting d’Easy Rider, en ouverture du film, la scène où nos deux motards après avoir récolté l’argent de leur deal avec le jeune Phil Spector, partent pour une Odyssée rock, lysergique et dramatique sur les routes américaines. Deux, il s’agit d’un morceau composé par le folk singer Hoyt Axton qui apparaît dans son album de 1971, « Joy To The World ». Original tout aussi furieux mais en deçà de la reprise de Steppenwolf. Trois, « The Pusher » malgré son entame débutant par ces mots célèbres, « You know I've smoked a lot of grass/O' Lord, I've popped a lot of pills/But I've never touched nothin'/That my spirit could kill », s’avère une diatribe contre les drogues dures, chose assez étonnante pour l’époque où les bacchanales sous substances étaient la norme ! Le groupe en fera son single et la succès de Easy Rider achèvera d’en faire un classique inusable. « A Girl I Knew » démarre tel un madrigal psychédélique pour migrer vers un morceau plus séduisant qu’il n’y paraissait, une sorte de danse du serpent électrique. Steppenwolf ne s’y est pas trompé qui en a fait son premier single, sorti en octobre 67. « Take What You Need » retrouve les accents favoris du groupe même si le morceau convainc moins mais au point où on en est, l’album est déjà une pierre angulaire du rock américain. Et « The Ostrich » d’enfoncer le clou de la ceinture qui porte le pantalon en cuir. L’Autruche s’annonce comme un brulot politoco-écologique refermant efficacement l’album et ouvrant l’avenir du groupe. 

L’album se hissera à la sixième place du top 200 ! Et il en sera de même pour les deux suivants, tout comme « Monster » et « Steppenwolf Live » dans une moindre mesure, malgré leur caractère iconique. Steppenwolf aura aussi eu le mérite de proposer une musique consistante, un rock à message sans prétention aucune et débarrasé du vernis poétique des Doors et autres Dylan. Contestataires et populaires, leurs chansons continueront de troter dans nos mémoires. Troter pas trottinetter. 

Steppenwolf, Steppenwolf (Dunhill-ABC Records)

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https://www.youtube.com/watch?v=UjNT_VB9AaU

 

 

 

 

 


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