Love and confusion

par Adehoum Arbane  le 12.04.2022  dans la catégorie C'était mieux avant

Siècle après siècle, l’obsession des artistes fut d’être absolument de leur temps. De sentir, de restituer voire, parfois même, de précéder les révolutions. En résumé, en 67, il fallait être baba. En 1970, il fallait être bruitiste. Jouer fort. Électriser les stades. Pourquoi ? Parce que l’époque était elle-même électrique, l’orage grondait chaque mois de chaque année. 69 venait de tirer le rideau de son commerce communautaire, l’heure était à l’individualisme, la peur, la dureté. Souvenez-vous de la chanson de Maxime Le Forestier, de sa maison bleue dont on avait perdu la clé. Scoop, celle-ci avait été retrouvée dès le premier jour de la décennie 70. Le rock était ainsi devenu fort en gueule. Il avait perdu sa part de romantisme qui fut l’apanage de la bohème san franciscaine et dont Surrealistic Pillow de l’Airplane constitua le pinacle harmonique. 

Automne 1969, Love – surtout son leader Arthur Lee – amorce un changement de cap pour coller à l’ambiance générale, pas fameuse il est vrai. « Out Here » surtout et « False Start » ensuite vont l’incarner pour le meilleur – ? – et pour le pire, ici fort heureusement conjoncturel. Une compilation sortie en 1988 sur le label Big Beat résume merveilleusement ces deux galettes. Merveilleusement dans la mesure où elle n’en prend que l’essentiel, remisant le reste. Quatorze chansons se partagent égalitairement sur deux faces. Quatre chansons sont extraites de « False Start » : « The Everlasting First » jouée avec Jimi Hendrix, « Love Is Coming », le très Sly Stonien « Stand Out » et « Gimi A Little Break ». « Out Here » prenant plus la lumière. Maintenant écoutons cette intéressante rétrospective de deux années décisives. Premier constat, l’ensemble sonne indiscutablement plus rock. Peu d’acoustique, l’électricité règne ici en maître. On pourrait croire que Lee s’inscrit dans une tendance lourde, venant à la fois d’Angleterre (on pense aux deux premiers disques de Led Zeppelin) et des États-Unis avec, en tête, le mastodonte Steppenwolf qu’on peut aisément qualifier de locomotive tant le groupe fut populaire. Signe des temps donc, Love délivre ces brûlots non sans un certain talent, aidé par des musiciens compétents. Jay Donnellan que l’on retrouvera dans l’éphémère groupe de country pop Morning irradie tout l’album, virtuose sans trop le clamer. George Suranovich derrière les fûts se montre à l’aise, à l’écoute et met son jeu élastique et affirmé au service des morceaux. Enfin, Frank Fayad s’impose parfois, souvent, comme un bassiste élégant au style quasi funky. Des musiciens additionnels interviennent sur quelques titres sans nuire à l’esprit général marqué par l’énergie. Parmi les temps fort de ce disque d’assemblage, citons la relecture plus âpre du blues de 1966, « Signed D. C. », le très cool « I Still Wonder » cosigné avec Jay Donnellan, le vindicatif « Stand Out » et la longue pièce au solo explosif, « Love Is More Than Words (or Better Late Than Never) ». 

La force d’Arthur Lee en ces heures agitées est de ne rien céder à ce qui fait partie de son ADN. Le songwriting tout d’abord. Même avec des guitares furieuses, les chansons conservent leur structure, leur qualité mélodique et harmonique. « I Still Wonder » en fait la parfaite démonstration, chanson pop habillement déguisée en morceau rock. Constat identique pour le gospel « I'll Pray for You » et même « Love Is More Than Words (or Better Late Than Never) » qui démarre de façon délicieuse. Notons aussi que chez Lee, l’art de la chanson ne se limite pas à des considérations musicales, les paroles ont aussi leur importance comme en témoigne le poignant final de « Gather Round ». L’intérêt de « Out There » est d’opposer un démenti ferme au pessimisme californien post-sixties. Chez Love, la fureur apparente ne masque jamais la délicatesse, le miel qui était l’apanage des années Da Capo-Forever Changes. Ainsi, dans la tracklist, on trouve de pures ballades. « Listen To My Song » en premier lieu qui renvoie à l’âge d’or du groupe. Lee s’y impose non seulement en fin mélodiste mais aussi en chanteur habité, délicat. Il s’agit à n’en pas douter de l’une des plus belles voix. Sans Lee, pas de Phil Lynott pour ne citer que lui. « Doggone » qui le suit, serait du même niveau s’il ne proposait pas le classique solo de batterie qui gâche un peu le bel édifice du début. D’ailleurs, les paroles sont assez lucides sur ce point : « Once I had a singing group/Singing group done gone/Now I got another group/Didn't take too long ». Cependant, même au détour d’un morceau rock, sensibilité et raffinement ne sont jamais loin. « Nice to Be », « Willow Willow », « You Are Something » et « Gather Round » entrent dans cette catégorie. 

Comment expliquer cette forme de résilience, ce refus du défaitisme, cette volonté de voir dans la vie, au-delà des nuages qui s’amoncèlent, le rayon de soleil qui vous réconforte ? Il faut aller chercher l’explication dans le parcours d’Arthur Lee et de son groupe maudit. Love avait tout pour réussir : le nom, la dimension symbolique des membres du groupes, noirs et blancs, les chansons jusqu’au label, Elektra, qui avait assuré la pérennité de son entreprise grâce au succès des Doors. Mais les drogues, la déveine et quelques choix parfois hasardeux auront relégué Love dans la case des groupes devenus mythiques après coup, des trésors cachés comme l’ont parfois titré les magazines pop. Ironie du sort, malgré son tournant électrique, Love ne survivra pas aux seventies, décennie d’une violence impitoyable. 

Love, Out There (Big Beat)

out-there.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/9575686

 

 

 

 

 

 


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