High Tide, la marée monte

par Adehoum Arbane  le 08.02.2022  dans la catégorie C'était mieux avant

Led Zep, des fillettes. Black Sabbath, des boy-scouts. Deep Purple, de la musique de chambre. Et de l’autre côté de l’Atlantique, pas mieux. Les Stooges, MC5, des jukebox à bluettes. Ainsi, le rock n’aura été qu’une longue surenchère de décibels, une course au bruit et à la déglingue. Ce fut à qui pousserait toujours plus loin les vumètres de l’inaudible. Vous me direz que dans cet exercice risqué, voire périlleux en matière d’adhésion et de popularité, le Velvet resta longtemps un maître indépassable. Sister Ray en témoigne encore. Qui aurait envie d’écouter ça en rentrant du travail ? C’est une fois de plus d’Angleterre, car là furent toutes les révolutions, que vient la bourrasque électrique balayant tous les groupes précités telles de vulgaires feuilles mortes. 

High Tide n’a sorti que deux albums, en 1969 et en 1970, mais c’est sans conteste le premier, « Sea Shanties », qui apparaît comme le plus violent, le plus sombre, traversé çà et là de bouillonnants orages que la fameuse pochette au galion laisse entrevoir. « Futilist's Lament » est pareil à une coulée de chaux vive, déversée depuis les remparts d’un château assiégé. C’est dire l’état d’esprit du groupe au moment où il grave ces Chants de marins. Parlons du moment tiens, du contexte. Denny Gerrard, est un musicien qui a déjà joué au sein d’un duo pop Warm Sound, avec à son actif un tube sur Deram, « Birds and Bees ». Lorsqu’il croise la route de Tony Hill et de Simon House, leaders de High Tide, il décide de les recruter comme Backing Band. Mais devant les qualités et le matériel de la jeune formation, il saute sur l’occasion et devient le producteur. Un contrat est signé avec Liberty et voilà ces faux joyeux drilles en studio. La singularité de La Marée Haute tient à la voix sépulcrale de Hill, sa guitare intraitable et le violon de House. Tony Hill n’est pas un perdreau de l’année puisque cet américain exilé à Londres fut le membre fondateur des fameux Misunderstood dont on perçoit déjà quelques similitudes avec High Tide. Bien que relativement court, « Sea Shanties » explose tout au long de ses trente-neuf minutes et trente-huit secondes. Quel sens du compte à rebours ! 

Ce brûlot enregistré en huit semaines seulement prend son tournant critique – et dans les sens du terme – avec « Death Warmed Up », instrumental de neuf minutes qui fait l’effet d’une attaque en règle par la troupe. Jamais un morceau n’avait exsudé une telle radicalité sonique ! Tony Hill s’y montre sous son meilleur jour guitaristique tant il se démène comme un beau diable. Le violon de Simon House s’enroule autour de ses trames électriques, tissant un barbelé inextricable. Nous sommes loin de la délicatesse des tapisseries de Cluny. « Pushed, But Not Forgotten » dans son entame fait l’effet d’un baume. C’était sans compter la logique délétère du groupe qui se fait un malin plaisir à détruire ce bel ordonnancement de notes si harmonieuses. Pour un résultat fascinant d’autant que la folie est continuellement jugulée comme un sang battant trop dans sa veine. Calme/tempête puis tempête/retour au calme, telle est la construction de cette balade qui se mue en bagarre. Sur ce titre, comme tant d’autres, High Tide prouve qu’une formation resserrée en termes d’instruments peut créer autant d’ambiances qu’un orchestre. « Walkin Down Their Outlook » qui ouvre la seconde face semble plus audible, plus pop ou souriant, comme on voudra, il n’en demeure pas moins organique et bruitiste que les trois précédents morceaux. Tout du moins prépare-t-il habillement le terrain – forcément miné – à « Missing Out ». « Porté disparu » a-t-il scellé le destin du groupe ? Rien n’est moins sûr. « Missing Out » est la seconde pièce maîtresse de l’album, d’égale longueur avec « Death Warmed Up » quoique nantie de trente précieuses secondes supplémentaires. Elle rappelle la torpeur plombée de « Futilist's Lament » et préfigure ce que High Tide produira sur son second effort – l’expression n’aura jamais été aussi pertinente –, sobrement appelé High Tide, toutefois mémorable pour son ménestrel outrageusement coloré, dessiné sur fond noir. La voix trafiquée et théâtrale de Hill, la guitare tronçonnante et tronçonnée par le violon, tout concourt à en faire le climax de « Sea Shanties ». « Nowhere » prend perfidement le relais de telle sorte que l’on en ressort lessivé. Pourtant il émane de cette ultime chanson une mélancolie épique mais empoisonnée, une puissance morrisonienne mais celtique qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs l’inédit des Doors « Whiskey, Mystics and Men ». Proximité sonore et spirituelle plus que troublante. 

Après un succès d’estime et des ventes encourageantes, le label croit encore en sa marrée. Entre le 5 avril et le 6 mai de l’année 1970, le quatuor retourne en studio y graver trois morceaux de plus dont l’incroyable « The Joke », pendant musical de la pochette et dont le final vous hantera longtemps. Que reste-t-il de High Tide ? Quelques rééditions bienvenues, complétées d’alternates et d’inédits qui enrichiront cette bien brève mais si exaltante expérience. Le bruit et la fureur sur disque. 

High Tide, Sea Shanties (Liberty)

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https://www.youtube.com/watch?v=q0xSUjFeJdc

 

 

 

 

 

 


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