Dwight is Dwight

par Adehoum Arbane  le 01.02.2022  dans la catégorie C'était mieux avant

C’est l’histoire d’un musicien au talent prometteur qui se cherchait un nom afin de briller et de s’accomplir. Cet auteur-compositeur s’appelle Elton John et il a su se réinventer en devenant pour l’éternité Reginald Dwight. Ne voyez pas dans cette curieuse introduction au doux parfum d’hagiographie une folie, voire une méconnaissance des faits réels. Lorsque l’on se penche sur la pléthorique carrière du singer-songwriter à lunettes et que l’on observe avec un vif intérêt ses trente et un albums au compteur, on essaie de prendre du recul et de reconsidérer certains acquis. Si l’on se limite à sa production des seventies, déjà significative (douze albums tout de même), on peut bien évidemment affirmer que « Goodbye Yellow Brick Road » reste son chef-d’œuvre indépassable, quoique formidablement prolongé par « Captain Fantastic and the Brown Dirt Cowboy » plus que « Caribou » d’ailleurs. 

Mais le disque qui marque, avec le – voyage dans le – temps, un retour aux sources de Reginald demeure incontestablement « Honky Château », publié le 19 mai 1972. Un disque d’une rare fraîcheur, d’une totale vitalité et ce du début jusqu’à la dernière seconde. Un album renfermant trois classiques reginaldiens qui ont aussi, et il faut le noter, le mérite de la sobriété, même si la production de Gus Dudgeon apparait toujours aussi étincelante. En 72, personne n’aura pu objecter à Reginald un « Gare au Glitter » fort mal venu. D’autant que « Honky Château » fait suite aux très identitaire et country « Tumbleweed Connection », le fantasme Americana de Reg.  C’est qu’à l’époque, tous les musiciens pop, anglais comme américains, tombent sous le charme du Band et veulent enregistrer leur « Music From Big Pink ». Seules « Come Down In Time » et « Love Song » font exception qui préfigurent ce que l’artiste produira par la suite, entre 72 et 73. Ici on entend le Reginald ambivalent se cherchant une autre identité à endosser. « Honky Château » constitue ainsi un point d’équilibre entre œuvres passées et futures, entre l’hésitation des débuts et la frivole exubérance des mid-senventies. 

Comme nous l’avons déjà évoqué, « Honky Château » coche de nombreuses cases. C’est un album d’une durée plutôt classique au regard de ses productions conceptuelles. Il comporte un gros tube et deux autres qui n’en sont pas mais dont la puissance mélodique s’impose. C’est d’ailleurs le morceau d’ouverture, l’efficace « Honky Cat », qui sera édité en single en juillet 72. « Honky Cat » scintille de ses accents music-hall. C’est le morceau idéal des rockeurs qui jettent sournoisement un œil intéressé à la pop. Ce qui frappe cependant tient à la dimension "funk" de la chanson, comme d’autres, éminemment séduisante. Les notes de piano électrique chinoisent et égaient un titre déjà joyeux, roboratif avec ses cuivres parcimonieux mais vindicatifs. « Mellow » qui lui succède est une chanson purement et chimiquement reginaldienne, mais plus suave que pleurnicharde à l’image d’un « Candle In The Wind ». Reginald nous aborde à la manière d’une prostituée de la Nouvelle-Orléans mais en y mettant les manières, sans chichi ni falbala – une des qualités du disque. « I Think I'm Going To Kill Myself » annonce la couleur dès son introduction. Sévère, intrigante du couplet au début du refrain qui a l’ingénieuse idée de finir sur une roucoulade sucrée mais digeste, très soul. « Susie (Dramas) » sonne vraiment comme le Band du second album, rappelant « Up On Cripple Creek ». Même sens du rythme, même gouaille sèche, sans fioritures. Puis, sans crier gare, démarre « Rocket Man (I Think It's Going To Be A Long, Long Time) ». Cette chanson qui est l’égale de « Space Oddity » de Bowie, en moins sombre, demeure le chef-d’œuvre de l’album et celui de Reginald, toutes décennies confondues. Mélodie sublime, production impériale, interprétation juste. Face A, un sans-faute. 

Face B, « Salvation » et « Slave » semblent marquer le pas en termes d’intensité. Mais ce n’est qu’une impression. Dwight peut s’enorgueillir de posséder une véritable science de la composition servie par les textes, plus immédiats, de son compagnon de plume Bernie Taupin. Notons que « Slave » adresse un regard plein de nostalgie à « Tumbleweed Connection ». Chez Reginald, tout va vite et l’on saute sans peur d’une période à une autre. Verdict : ce début de face est plus que réussi. « Amy » sonne comme une anomalie même si elle rappelle « Susie (Dramas) ». C’est la chanson la plus ouvertement rock de l’album, aussi étrange que le prénom auquel elle se réfère, et surtout par ses partis-pris : le son de guitare, en sourdine mais très free, le violon épileptique, presque jazz, et la voix mixée de Reg au moment où il chante « Amy » sur le pont, à la fin de la deuxième minute. Pour nous remettre de ce grand chamboule-tout émotionnel, Reg ne trouve pas mieux que de nous envoyer vers des cieux new-yorkais avec le magnifique « Mona Lisas and Mad Hatters » dont le titre pourrait vous dissuader de l’écouter, ce qui serait dommage. L’album se referme sur « Hercules » qui semble faire pâle figure à côté de son prédécesseur. Jamais avec Reg. Always rock on et ce ne sont pas les chœurs Doo-wop qui démentiront cette franche affirmation.

Il est temps que Reginald Dwight redevienne notre Elton John rassurant, celui de toutes les folies. C’est dans l’ordre des choses. Mais ce qui fait le sel de « Honky Château » et le titre nous donne un indice, c’est le lieu d’enregistrement. Le mythique Château d’Hérouville transformé en studio d’enregistrement et où de nombreuses stars vinrent graver leurs albums : Bowie, Stones, Pink Floyd, Gong, T. Rex, Jethro Tull, Iggy Pop… Longue liste sous les étoiles. Elton John y avait sans doute perçu le potentiel voluptueux et subversif. En 1976, sera tournée le classique du porno vintage, « Mes nuits avec ». Les talents d’Elton John ou les onze mille Reg !  

Reginald Dwight, Honky Château (DJM Records-Uni) 

1972-honky-chateau.jpg

https://tinyurl.com/yu43rn32

 

 

 

 


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