Courtney Barnett, chansons chaussons

par Adehoum Arbane  le 22.02.2022  dans la catégorie A new disque in town

Monde d’après versus monde d’avant. Ce match qui tarde à s’achever ne nous dit pas encore qui a triomphé. Pire, on en vient à se demander si le monde d’avant n’était pas préférable. Du moins rassurant. Ce monde que nous connaissions parfaitement et qui surtout nous acceptait, sans trop nous emmerder par ailleurs, était notre zone de confort, un périmètre connu dans lequel les innovations pouvaient arriver, parce que ces dernières n’apparaissaient jamais comme une totale et profonde remise en question de nos acquis. Le monde d’avant-hier, comme on serait tenté de dire, n’était peut-être pas meilleur mais suffisamment bon pour que l’on en conserve la nostalgie. La chose pouvait aisément se vérifier en musique. Et dans le cadre de la pop ? 

La pop n’est qu’un point d’équilibre entre ces deux mondes-là, entre tradition et modernité, entre le « tout change » et le « rien ne change », assertions qui sont souvent accolées, dixit Lampedusa. Courtney Barnett a dû faire sien cet adage au moment où elle s’est attelée à son troisième album : « Things Take Time, take Time ». Ce titre en forme de cinémagraphe montre bien, et plus encore la musique qu’il révèle, que le temps peut avancer tout en se figeant, que l’on peut se reposer sur ce que l’on a jadis créé pour avancer musicalement et humainement, aussi. Courtney Barnett sculpte depuis plusieurs année le même matériau, le rock (pardonnez la facilité), avec un même outil, la guitare, pour parvenir à un unique but : faire éclater, dans les débris de sons et d’idées, une chanson, voire plusieurs en l’occurrence. Cette constance affichée n’a rien d’obsessionnel, ou si elle l’est, elle n’empêche pas cette artiste si singulière de varier autant que faire se peut, c’est-à-dire, de se détourner parfois du chemin qu’elle emprunte ainsi depuis son premier EP. Tel un Lou Reed un peu usé, patiné dirons-nous, Courtney Barnett démarre avec « Rae Street », titre jouant sur la longueur et la langueur, forme de mélancolie battue en brèche par le tambourin. « Sunfair Sundown » est le premier petit écart dans la grammaire Barnettienne où la guitare sonnerait presque comme une trompette étriquée donnant à cette chanson une coloration pop des plus agréables. Un clavier dilué appose sur l’ensemble ses rayons chaleureux comme une matinée embuée par la rosée. C’est tendre, c’est joli, c’est Courtney. De façon quasi magique, sans hiatus, Barnett enchaîne avec le très indie « Here’s The Thing », jolie balade entre-deux, au refrain embrumé comme un regard d’ado perdue. Après quelques secondes d’entame quasi piquées à un titre imaginaire de Radiohead, « Before You Gotta Go » invente un nouveau genre, une sorte de blues new-wave, doucement Kraut. Barnett chante d’une voix monocorde comme si notre SSW venait de refermer la page finale du dernier Houellebecq. Machinal, « Turning Green » prolonge cette ambiance acétique, basse métronomique, titre déroulé comme une autoroute à une voie, voire, ici, une demi-voie. « Turning Green » a quelque chose de velvetien, seuls les claquements de doigts et un piano bienvenu viennent nous extraire d’une torpeur de désert Australien écrasé par la chaleur. Chanson bien étonnante refermant cette première face. 

Barnett reprend sur la face b les choses où elles les avaient laissées, à leurs débuts. Rock efficace, plein de morgue mais bien fichu, « Take It Day by Day » fait le job, assure le coup. Et en moins de deux minutes. « If I Don’t Hear from You Tonight » ouvre une brèche lumineuse, Courtney Barnett sait écrire de ces chansons qui rassurent, vous ramènent illico chez vous par le truchement d’un refrain et la cartographie de couplets. Dans la même tonalité, vient « Write A List Of Things To Look Forward To » dont le titre déroule déjà toutes ses promesses dans un style ligne-clair qui lui convient à merveille. « Splendour » démarre comme certains des précédents titres, c’est-à-dire sur une boîte à rythme, procédé introductif que l’on retrouve chez bon nombre de groupes contemporains. La chanson semble ainsi se diluer dans une mélancolie aurorale des petits matins où l’on voudrait ne jamais se lever. Bonne idée puisque ce titre enchaîne rapidement avec le final en mid-tempo de « Oh The Night ». Jouée au piano, la chanson possède quelque chose de Lennonien, une beauté simple, pure, qui relance l’album à la dernière minute. Et du coup, on se plait à songer à un album de Courtney à la Carole King, tout au piano, instrument roi des SSW. Sans forcément renier son identité de rockeuse boudeuse, héritière de Lou et surtout de Neil Young. 

Ainsi, Courtney Barnett n’est ni une révolutionnaire ni une révoltée. C’est une musicienne au cœur tendre et à la vision paisible, qui sait donner du temps au temps, sans jamais brusquer les choses. Tout comme l’inspiration, qui viendra quand elle voudra. Dixit les grosses tâches de peintures généreuses de la pochette. Elle est comme ça, Courtney Barnett. À la fois hors du temps et dans son époque. Et cela s’entend. 

Courtney Barnett, Things Take Time, Take Time (Marathon Artists, Milk! Records, Mom+Pop)

https://www.deezer.com/fr/album/238193172

things-take-time-take-time.jpg

Photo ©Mia Mala McDonald

 

 

 

 

 


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