Billy Joel, one solo !

par Adehoum Arbane  le 15.02.2022  dans la catégorie C'était mieux avant

Avez-vous entendu parler du syndrome Marvel ? Inutile d’aller consulter les oracles du Web, ils ne vous diront rien. Lisez plutôt ceci, et jusqu’au bout s’il vous plait. Premièrement, ce syndrome n’affecte la franchise que lorsque cette dernière est portée à l’écran. En fait, ce syndrome concerne tout un pan du cinéma dit commercial, ce qu’il est coutume d’appeler les Blockbusters. Dans ces films répondant sans exception à un cahier des charges aussi précis que rempli, l’argent consciencieusement dépensé se voit dans chaque plan, chaque cadrage, chaque effet. Le spectateur en est témoin, tout y rutilant ! Malheureusement, la qualité visuelle prend souvent le pas sur la dimension intellectuelle, les personnages, l’art de mener à bien le récit, la subtilité des points des vue, la variété des émotions convoquées. De sorte que nous vivons à chaque séance ce que Pasolini appelait dans Salò le « Girone della merda ».

Il existe également un effet Blockbuster appliqué à la musique. Cependant, il n’est pas aussi connoté qu’au Cinéma. Un exemple parmi tant d’autres mais dont l’écoute vaudra toutes les démonstrations : Billy Joel et son deuxième album solo, « Piano Man ». Enregistré au mois de septembre 1973 et sorti en novembre, « Piano Man » s’impose comme un disque étalon dans la mesure où il sonne aussi clair que les dollars qui ont été ainsi investis. Pour la petite histoire, et celle-ci compte bien évidemment, Billy Joel qui a donc sorti un premier essai remarqué, enregistre pour la radio de Philadelphie un show de ses nouvelles compositions dont le formidable final de « Piano Man », « Captain Jack ». Les conditions d’enregistrement excellentes donnent une idée du potentiel de l’artiste et la chanson s’impose vite comme la plus plébiscitée des auditeurs de la station. De telle sorte que le staff de Columbia qui a entendu le programme, signe immédiatement Billy Joel et lui offre les moyens de ses ambitions pour le résultat que l’on sait. En dix morceaux, Joel prouve à son label qu’il a choisi le bon poulain et qu’avec une équipe adéquate le poulain se transformera vite en cheval de course. Si l’album démarre sur le curieux et country « Travelin' Prayer » et son banjo infernal, le reste explore une pop grandiose tutoyant parfois le Prog. Placé en deuxième position, « Piano Man » est encore marquée par l’influence de Dylan mais le piano, la mélodie et l’interprétation chaleureuse de Joel font de lui l’égal d’Elton John. Impression confirmée par le très soul « Ain't No Crime » qui rappelle les années 71-72-73 de l’artiste anglais. 

Mais c’est sur « You're My Home » que Billy Joel fait des merveilles. La production, subtile et racée, confère à cette chanson tendre une classe incroyable. Sûr de lui et de son talent, Joel enchaîne avec la première mini-suite de l’album, « The Ballad of Billy the Kid » dont l’introduction passe en une explosion sonore du mode folklorique au mode symphonique. La qualité de la composition est rehaussée par les musiciens qui accompagnent le jeune singer-songwriter, toutes les énergies et les savoir-faire ayant mis au service de la chanson. Ça éclate de partout, on est vite emporté comme dans un ouragan par la batterie, les cuivres et les violons. Malgré le visage poupin de la pochette, l’artiste chante d’une voix suave, mi-grave, pleine d’assurance, tel un Gatsby pop. La face b démarre sur le laid-back « Worse Comes to Worst ». La suite est un véritable miracle. Quatre chansons d’une grandeur d’âme sublimée par la patte "Columbia". Cela commence avec « Stop in Nevada » qui mérite, comme son nom l’indique, qu’on s’y arrête. « If I Only Had the Words (To Tell You) » est une ballade intense au caractère épique. « Somewhere Along the Line » poursuit dans cette veine. Ce destin est en route, les murs d’enceinte tombent, les portes s’ouvrent. Mais il n’y a pas de forme san fond et Piano Man de prouver à quel point Billy Joel est un savant compositeur, un compteur. Arrive enfin le « Captain Jack » en version studio et c’est une Rolls. Une Rolls Royce Phantom III, un objet formellement abouti où les instruments, nombreux, vrombissent sans perdre de leur beauté diamantaire. Quand on songe à l’ambiance de studio au moment même où la chanson fut gravée, on se figure l’intérieur d’une chapelle, non, d’une cathédrale, un lieu immense, sacré, baigné de toute la lumière divine. On imagine parfaitement l’hilarité de Michael Stewart, le producteur maison. Puis on regarde les crédits, les sessions men & women et on en a le tournis. C’est une véritable armée qui obéit au maître ! 

« Piano Man » se place en 27ème position de l’US Billboard 200 et s’écoulera au fil des années à 4 millions d’exemplaires. Cette success story ferait presque oublier que Billy Joel a débuté, comme bon nombre de jeunes musiciens talentueux, dans l’un de ces obscurs combos psyché qui pullulaient dans l’Amérique des sixties. Au sein des Hassles, il grave deux albums pour United Artists Records puis un avec Attila, signé chez Epic. Rien qu’à prononcer les noms des deux majors, on comprend mieux ce qui suivra. En 73, notre Piano Man n’a que 24 ans et l’avenir devant lui. Une carrière façon Yellow Brick Road mais où le jaune est or. En véritable Popbuster ! 

Billy Joel, Piano Man (Columbia) 

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https://www.deezer.com/fr/album/1314948

 

 

 

 

 


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