Renaissance de l’Embryon

par Adehoum Arbane  le 07.12.2021  dans la catégorie A new disque in town

Un groupe pop peut-il continuer à avancer sur le chemin de la vie musicale sans l’un de ses membres fondateurs ? Les Beatles auraient-ils été les Beatles s’ils avaient poursuivi l’aventure, certes interrompues, après la mort de Lennon ? Le constat est d’autant plus implacable s’agissant de ces formations, jadis mythiques, ayant décidé de se reformer avec un ou deux remplaçants comme le prouve le cas tout récent de Deep Purple. Le seul groupe à être parvenu à réaliser ce périlleux exercice, demeure Pink Floyd qui sortit « Division Bell » sans Roger Waters. Certes, ce dernier Lp ne compte pas parmi les meilleures productions du groupe mais peut cependant être considéré comme un album officiel du Floyd, de ceux qu’on pourrait même réécouter avec plaisir. Et pour cause, il était servi par un excellent single, « High Hopes ». Mais nous parlons de pop. Il est un genre, en dehors du Classique, qui échappe à cette fatalité, mieux qui a questionné fortement la notion d’éternité au-delà de la dimension humaine : c’est le Jazz. 

Dans le cas du Jazz, la chose tient à plusieurs aspects structurants. Mais avant d’aller plus loin, attardons-nous sur un groupe qu’on ne cite guère, tant il semble appartenir à une scène lointaine, le rock allemand, à une époque parfois oubliée – le syndrome Ok Boomer ! –, les sixties-seventies. Ajoutons à cela que la formation concernée n’est ni Can ni Amon Düül, encore moins Tangerine Dream ou Ash Ra Temple, tous ces groupes ayant tout de même plus que flirté avec les sirènes tonitruantes du succès. Il s’agit d’Embryo, mené par Christian Burchard, vibraphoniste et claviériste de son état. Embryo s’est affranchi de la figure du leader démiurge pour continuer d’exister après la mort de celui-ci. Cette longévité – doublée d’une vraie légitimité – s’explique aisément. Même si Embryo prend sa source dans le Munich de la fin des sixties – soit en 1969 –, il n’a jamais cessé d’exister et d’enregistrer. Bien évidemment, sa période mythique s’étale sur quelques années seulement qui correspondent à l’effervescence du rock allemand. De 1970 à 1973 d’abord, Embryo publie six albums sur pas moins de quatre labels prestigieux : Ohr, United Artists Records, BASF et Brain. Par la suite, le groupe dont le line-up évolue, signe pour des labels indépendants et produira sa musique sans discontinuer jusqu’en 2018, année de la mort de Christian Burchard.  

Point important à ce stade, lorsque le pire survient, une descendance se fait systématiquement jour. Là, c’est la fille du vibraphoniste, Marja Burchard, qui reprend les rênes d’Embryo. Elle avait déjà enregistré un album avec son père, de sorte que la succession, matérialisée par un nouvel opus, s’impose d’elle-même. Soit « Auf Auf » qui fut le cri de guerre de nombre d’artistes et de musiciens dans les années 70. Précisons de même que l’album sort sur le label du Dj Madlib, chanteur de Hip Hop et qui était depuis toujours un grand fan d’Embryo. Alors pourquoi la greffe fonctionne à ce point sur les six titres que comporte le Lp ? Par le genre en lui-même, le jazz-rock. En effet, nous n’avons pas affaire à une musique chantée au sens classique du terme mais entièrement instrumentale. De même, le caractère free qui prévalait sur les premiers témoignages du groupe continue d’irriguer nos musiciens. Écriture et improvisation se mêlent de telle manière et avec une telle réussite qu’elles créent une musique passionnante, en constante évolution. Et le fait qu’Embryo poursuive dans la voie d’un jazz ethnique ne gêne aucunement, bien au contraire : cette fidélité spirituelle sort chacun des morceaux d’une posture intellectuelle dans laquelle il aurait pu tomber par facilité. 

« Besh » ouvre le bal et fait immédiatement songer aux quelques premières secondes de « Olé » de Coltrane dont il semble être un prolongement naturel même si la suite nous propulse dans un Orient mythifié. Splendeur qui ne préjuge en rien de la suite, tant la créativité a présidé à la création de cette œuvre salutairement singulière. « Yu Mala » démarre dans un riff de basse très vite enrobé de notes de vibraphone, élégamment ponctué par la batterie. Le chant quasi africain exerce sur l’auditeur son influence positive, comme un ensorcellement inattendu auquel on succombe sans offrir de résistance. Le clavier électrique nous ramène sur les rivages du jazz rock qui est l’ADN d’Embryo. Puis vient « Auf Auf », le morceau titre, long de neuf minutes. Temps nécessaire pour installer la transe. « Baran » referme cette face A sur une touche hypnotique, quasi électronique montrant la diversité d’inspiration des musiciens. Face B, s’étire sur près de dix-sept minutes « Januar » qui s’impose donc comme la pièce maîtresse de « Auf Auf ». Le savoir du groupe, ainsi revitalisé, s’exprime au mieux tout au long du titre, rythmé par des moments où l’intensité s’avère admirablement bien gérée. Un tel morceau fait du bien en 2021 ! Pas seulement dans le contexte sanitaire que chacun sait mais dans un milieu musical et pop totalement claquemuré. Le Lp se termine sur « Alphorn Prayer » qui porte si bien son nom. Comme si cette troublante composition s’était donnée pour objectif de nous purifier de l’intérieur. Ablution par le son ! 

À l’écoute de « Auf Auf », Christian Burchard serait fier de sa fille et de ses musiciens qui perpétuent ainsi un nom, une tradition. L’exercice avait été tenté par Gong avec le bien nommé « Rejoice ! I’m Dead ! » mais sans retrouver la folie naturelle des enregistrements de Daevid Allen. Bien qu’il soit vivant, Christian Vander au sein de Magma doit sans doute s’interroger sur une possible suite sans lui. Forme-t-il un successeur ? Peut-être. Il faut dire que le langage du kobaïen et la richesse de l’œuvre écrite permettraient à une formation nouvelle de continuer à se produire. Mais l’équilibre reste précaire. Quant à Embryo, il renaît aujourd’hui et de la plus intense des manières. 

Embryo, Auf Auf (Madlib Invazion)

2021-auf-auf.jpg

https://embryoband.bandcamp.com/album/auf-auf

 

 

 

 

 


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