Sticky Fingers, le doigt dans l’engrenage ?

par Adehoum Arbane  le 30.11.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

Nous qui sommes des enfants de la télé, nous nous souvenons tous de ce riff de guitare horloger, déroulé en une boucle entêtante, et de cette spirale sur fond d’espace laissant entrevoir un logo : The Twilight Zone. En fait, il y eut plusieurs génériques et autant d’animations, d’effets, de tableaux toujours saisissants. Pourquoi cette allusion télévisuelle ? Pourquoi évoquer l’un des symboles les plus iconiques de notre pop culture ? Pour en invoquer un autre, relativement différent dans l’univers propre qui est le sien : les Rolling Stones. Vous me direz, une spirale qui tourne et des pierres qui roulent, voilà un premier point commun assez évident. Mais il n’est pas – tout à fait – là. 

Des Stones, penchons-nous un moment, si vous le voulez bien, sur le cas « Sticky Fingers ». Voilà un album important dans l’abondante et parfois inégale discographie des Rolling Stones. Un album Twilight Zonien si l’on ose dire. Oh, que ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de l’écouter se rassurent, ce dernier n’a rien de psychédélique, de barré, encore moins de prog. Encore que le long « Can't You Hear Me Knocking » pourrait y faire songer ne serait-ce qu’une seconde. Mais non ! Tiens, « Can't You Hear Me Knocking », puisqu’il s’agit de lui, s’avère d’une importance capitale. C’est un tunnel qui fait basculer la face A, la B et le disque entier. Une zone pivot, un balancier qui nous fait passer d’un univers à l’autre. Plus globalement, Sticky Fingers est un disque charnière, celui de la découverte d’une musique country aux accents cosmiques et que Keith Richards, alors très copain avec Gram Parsons, aiment plus que tout. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le groupe autorise les Flying Burrito Brothers à reprendre « Wild Horses ». 

Mais revenons un temps à notre chanson, en soi une sorte d’anomalie dans la carrière des Stones. Qui débute sur un riff hyper classique, stonien en diable comme on dit. Batterie sèche de Charlie Watts. Arrivée de Mick Jagger, sexy comme à son habitude. Tout le monde est en place quand le refrain s’impose avec en prime, un orgue bouillonnant mais qui ne vient pas troubler l’osmose du groupe. Et là, après un second couplet-refrain chanté à l’unisson, les percussions jouées par Rocky Dijon et le saxophone de l’incontournable Bobby Keys envoient le morceau dans des confins, entre jazz et bossa. L’écho est tel que l’auditeur aura cette curieuse impression de décoller à bord d’une fusée qu’il n’avait pas vu venir. Le chorus de guitare a quelque chose de Santana, logique on est en 1971 ! Et si l’on se concentre sur cet axiome, cet axe de bascule donc, on aura tout au long du disque le sentiment d’enfiler à chaque chanson des habits différents, de passer dans une galaxie autre et dans laquelle le groupe se sent parfaitement à l’aise, signe évident d’une réelle maturité musicale. 

Face A, on passe du rock’n’roll et sulfureux « Brown Sugar » au symphonique « Sway » avec ses cordes inattendues sur la ligne d’arrivée, jusqu’au country et mélancolique « Wild Horses » où nous quittons Broadway pour les grands espaces de l’Ouest américain, ce qui n’empêchera pas les Stones de repasser par l’ambiance du Bayou avec le rural et aride « You Gotta Move » où Jagger chante dans un vieux dialecte du sud. Face B, c’est encore autre chose. « Bitch » renoue avec l’esprit Stones mais avec ce je ne sais quoi velvetien, presque glam. « I Got The Blues » aurait pu être écrite par le grand Otis Redding à l’époque, c’était en 1967, où il rêvait à une soul matinée de pop, une musique noire et blanche à la fois, enracinée mais universelle. L’album se referme sur le trio « Sister Morphine », « Dead Flowers », « Moonlight Miles ». « Sister Morphine » pourrait avoir des accents Folk mais le rock n’est jamais loin.  C’est beau comme du Bowie période « The Man Who Sold The World ». Avec cette noirceur qui n’est pas sans rappeler des titres comme « After All ». « Dead Flowers », on ne sait si c’est un hasard, fait immédiatement songer au Grateful Dead de « American Beauty ». Mais le grand morceau du disque, irréel comme un dernier rêve avant l’aurore, reste sans conteste « Moonlight Mile ». Tout y est parfait, en équilibre : les partis-pris de production du fidèle Jimmy Miller, la voix tendre et chancelante de Mick, le piano impérial, la batterie en apesanteur de Charlie et la guitare de Keith. Frisson intégral quand arrivent les violons dont le doux ressac est l’une des idées de génie du morceau. Le pont admirablement maîtrisé amène au grand final où les cordes se font plus incisives, appuyées par la voix de Jagger qui se la joue crooner. À force de réécouter  « Moonlight Mile », on est frappé par l’évidence : Kevin Morby a dû écouter cette chanson de manière obsessionnelle. Jusqu’à la fin, flûtée, tapie, ralentie et close par des violons grandioses. 

S’il y a bien mille idées dans « Moonlight Mile », il y en a plus encore dans l’album entier. Plus que « Bitches Brew » d’ailleurs, « Sticky Fingers » est un brouet d’influences diverses. Les conditions dans lequel il fut enregistré y sont pour beaucoup. « You Gotta Move », « Brown Sugar » et « Wild Horses » furent gravées aux studios Muscle Shoals, à Sheffield, Alabama en décembre 1969. « Sister Morphine » provient des sessions d’enregistrement de « Let I Bleed ». Le reste sera mis en boîte dans le studio mobile des Stones dans le manoir de Stargrove à l’automne 70. Il sortira finalement le 23 avril 1971. Il représente le dernier grand disque avant le sommet de « Exile on Main Street » dont le format double constitue à lui seul une autre zone parallèle dans la discographie des Pierres Roulantes. 

The Rolling Stones, Sticky Fingers (Atco)

sticky-fingers.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=V_lvFGhVVNU

 

 

 

 

 

 


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