Dans le Generator

par Adehoum Arbane  le 16.11.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

Le diable est dans le détail. Toujours. La pop n’y échappe guère qui s’est bien souvent perdue en querelles et débats sans fin. Un parmi tant d’autres : les premiers albums de groupes. Mais pas n’importe lesquels : les premiers albums de groupes dont la formation n’est ni stabilisée, encore moins définitive. Et pour corser la chose, arrêtons-nous au genre progressif. Dieu sait à ce propos qu’un groupe fit brillamment exception à ladite thèse : King Crimson. S’il a vu son contingent et sa dimension changer au cours des années, le Crimso aura livré un premier témoignage incroyablement saisissant, profondément nouveau et original et à la maturité impressionnante. Mais revenons aux premiers disques de groupes en devenir. Citons « The Magnificent Moodies » en 1965, sorti deux avant « Days Of Future Passed ». Plaçons à la rigueur « This Was » de Jethro Tull même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un album prog. Plus cohérents, on trouvera « From Genesis To Revelation » des mêmes Genesis et le « Yes » de Yes, ces deux essais ayant comme point commun d’être sortis en 1969. Mais il s’agit là de la deuxième génération de groupes prog. Parmi la toute première qui voit s’installer King Crimson donc, Soft Machine et Caravan, on trouve aussi Van der Graaf Generator.  

C’est The Aerosol Grey Machine, sorti en septembre 1969, qui nous intéresse ici. Pour la petite histoire, The Aerosol Grey Machine devait être à la base le premier album solo de Peter Hammill. Pour quelle raison ? Remontons à l’année 1967. Hammill et le batteur Chris Judge Smith, qui eut le bon goût de trouver le mythique patronyme du groupe, signent chez Mercury. Un obscur organiste complète le line-up, vite remplacé par Hugh Banton. Vient la rencontre décisive avec le manager Tony Stratton-Smith. Malgré un single remarqué publié chez Polydor, la jeune formation subit les foudres de Mercury. Le single est retiré des bacs et Judge Smith s’en va. Guy Evans prend sa place. Le noyau du générateur est stabilisé. Entre temps, Hammill a écrit des morceaux qu’il joue au Marquee sous son nom. Grâce à Tony Stratton-Smith, un deal est trouvé pour que l’album à venir sorte sous l’étiquette VdGG en échange de quoi Mercury rompt son contrat avec Hammill. Le groupe passe alors chez Charisma. Sur The Aerosol Grey Machine, on retrouve donc en guise d’ossature le trio Hammill/Banton/Evans, soit la guitare, l’orgue et la batterie. Keith Ellis officie à la basse, Jeff Peach à la flûte. Pas encore de David Jackson aux cuivres. C’est d’ailleurs l’une des coquetteries de Van der Graaf : pas de bassiste officiel, ou plus précisément un Nic Potter présent de manière épisodique sur les deuxième et troisième disques et qui s’effacera à partir de Pawn Hearts. Et, mentionnons-le une fois pour toute, pas de guitar hero, hormis quelques apparitions de Fripp en guest. En résumé, rien de structurant à ce stade. VdGG est un groupe prog qui a décidé de miser sur quatre musiciens et un instrumentarium plus rétréci, surtout moins conventionnel que ses concurrents. Une guitare sèche comme on disait fut un temps, un orgue farfisa comme élément central des claviers parmi lesquels un mellotron qui n’arrivera que sur Pawn Hearts, quelques synthés et autres ingrédients électroniques. N’omettons ni les saxophones fous de Jackson et bien sûr la voix de Peter Hammill, modestement surnommé le Jimi Hendrix des cordes vocales. Blague à part, cet élément-là reste clé dans l’identité sonore du groupe, Hammill développant une théâtralité vocale, un sens de la dramaturgie, voire une certaine noirceur qui éloignera le groupe de l’autoroute de la célébrité. Singularité qui lui offrira cependant l’estime éternelle des punks et de Nick Cave, comme quoi tout arrive.

Quant à The Aerosol Grey Machine, disons-le, cet album malgré son histoire, la configuration de la formation qui a la lourde tâche de l’interpréter, est marqué du sceau de la maturité, bien loin des approximatives et décevantes premières tentatives de Genesis et Yes. S’il n’y avait David Jackson, on parlerait de chef-d’œuvre. Tout est là, déjà. La maestria instrumentale, même si VdGG ne se veut – surtout – pas un groupe virtuose, une addition de techniciens, la presque démesure – les morceaux y sont malgré tout plus courts –, cette science climatique qui propulse une chanson ailleurs, qui la plie à une volonté. « Afterwards » démarre en douceur avec son orgue trafiqué et sa wah-wah engluée. « Orthenthian St. (Part 1 & 2) », la précision structurelle est de taille, accélère les choses sans jamais quitter les rivages de l’étrange, pour quasi paraphraser Pete Townshend. « Running Back » s’impose comme une magnifique complainte à la mélodie très pop. En effet, VdGG ne sera pas resté dans les mémoires pour les hits qu’il n’aura jamais produit par ailleurs. Mais les compositions de « The Aerosol Grey Machine » sont, permettez ce barbarisme, lisibles. Sur « Running Back », la basse noueuse mais aride et la flûte subtilement enjôleuse accompagnent le maître et sa guitare. « Into A Game » vient clore cette face A impeccable, sans fioriture ni faute de goût, sans la plus petite once d’hésitation qu’ont parfois ces groupes dans leurs prémices. La face B débute sur le genre de pochade typique du rock anglais : « Aerosol Grey Machine », la chanson, se fait vite oublier au profit du transitionnel « Black Smoke Yen », tout en apesanteur. Il mène droit vers « Aquarian », morceau typiquement Van der Graafien. Introduction lente, fascinante préparant le terrain à la voix en éclats de vers de Peter Hammill. Pause bizarroïde, « Necromancer » malgré sa courte durée, imprime sa marque dans nos cerveaux disponibles. Avant le final tout en majesté de « Octopus ».  Là aussi, le clavier vrombissant annonce les couleurs sombres des disques futurs. 

Futur est le mot juste. Les musiciens ne se cherchaient pas. Ils avaient trouvé un eldorado. Ils avaient ouvert plus qu’une porte, une brèche vers un monde à la fois futuriste, science- fictionnesque, et antédiluvien. Comme si VdGG était une émanation de l’esprit malade de Lovecraft. « Octopus » par son nom et sa musique apparait déjà comme un Cthulhu, un Yog-Sothoth, un Grand Ancien. C’est ce qu’est le groupe qui, au travers de sa discographie et de la prolifique carrière solo de Hammill, continuera d’exister. Récemment on a appris que Van de Graaf réduit à un trio, celui mythique du premier album tiens, allait remonter sur scène. Bonne nouvelle pour les fans et pour le Prog qui n’aura jamais autant duré à rebours des modes et des facilités standardisées de notre époque. 

Van der Graaf Generator, The Aerosol Grey Machine (Mercury)

the_aerosol_grey_machine1.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=uNqt1J_f5a0

 

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top