Nos disques live

par Adehoum Arbane  le 19.10.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

La remarque peut paraître incongrue, voire méchante mais vise juste : quel intérêt d’écouter un live enregistré, donc chez soi ? Un concert ne se vit-il pas en direct, au cœur de la foule ? Ainsi immergé on en ressent les moindres effets, positifs comme négatifs. Car il s’agit de fait d’une expérience éminemment risquée donc sincère, ancrée dans le réel où les erreurs techniques peuvent à tout moment survenir. Spectacle vivant dirions-nous aujourd’hui. Expression prenant tout son sens au moment précis où un Jim Morrison, encore ivre, donc ingérable, décide d’exhiber son membre à la vue du public, ce qu’il ne fera pas comme chacun le sait. 

Malgré tout, on ne compte plus le nombre d’albums live s’intégrant très officiellement à la discographie de leurs groupes, qui sont ainsi entrés dans la légende. Le « Live Steppenwolf », le tout premier MC5, l’inénarrable et matriciel « Live Dead » du Grateful Dead et bien sûr le monumental « Absolutly Live » des Doors, surtout la version CD « In Concerts » réunissant plusieurs performances mémorables. De l’autre côté de l’Atlantique, nous ne sommes pas en reste avec le « Live at Leeds » des Who, « Ummagumma » des Floyd, le double Lp « Mad Dogs and Englishmen » de Joe Cocker, le triple « Yes Songs », le « Made In Japan » de Deep Purple et le très mythique « Space Ritual » de Hawkwind. Cela sans compter les bootlegs et autres rééditions de témoignages live comme la toute première prestation de King Crimson à Hyde Park dont le piètre niveau sonore ne rend pas compte, hélas, de l’instant historique que vivent alors les londoniennes et londoniens venus écouter religieusement les Stones, reformés juste après la mort tragique de Brian Jones. 

Dans cette famille, il existe cependant une catégorie bien à part, assez singulière et à laquelle on ne songe que rarement, ce sont les faux disques live. Des albums gravés en studio auxquels on aura pris soin de rajouter des applaudissements et des cris venant du public. Parmi eux, on retiendra « Raw & Alive : The Seeds in Concert at Merlin’s Music Box ». Pour de nombreuses raisons. La première tient tout d’abord au statut des Seeds en Californie. C’est peu dire que le groupe possède un public de fidèles à la limite du fanatisme. Entre 1966 et 1967, les Seeds gravent trois albums qui vont rester dans l’Histoire, un, pour leurs qualités intrinsèques, bien que leur musique soit rudimentaire, deux, pour la manière dont ils vont préfigurer d’une certaine manière le son des Doors qui raflera la mise dès la sortie de leur premier album éponyme, le 4 janvier 1967. Le leader des Seeds, Sky Saxon, sans avoir le charme hellénique de son homologue californien, n’en demeure pas moins charismatique même si l’on oublie le rôle important d’un Jan Savage à la guitare et de Daryl Hooper au piano électrique et à l’orgue (qui intégrait tout comme celui de Manzarek la basse). 

L’autre raison majeure tient à l’album en lui-même et à son histoire. Inventeur du son garage punk, les Seeds décident d’enrichir leur musique sur leur troisième album, « Future » qui portera d’autant plus mal son nom qu’il scellera leur destin, ici des plus funestes. Considéré avec le temps comme une réussite artistique, « Future » ne convainc pas le public. Ils enchaînent avec le décevant « A Full Spoon of Seedy Blues ». Nouvel échec. Aussi Sky Saxon et sa bande décident-ils de revenir à l’essence des Seeds, ce son basique et violent qui leur avait si bien réussi sur quelques singles matriciels comme « Pushin’ Too Hard » et « Can’t Seem to Make You Mine », publié respectivement en mai et en novembre 1965. Pour aller encore plus loin, le groupe désire retrouver lors des séances d’enregistrement de leur prochain disque l’énergie live des débuts. D’où le nom Raw & Alive. Les Seeds gravent l’album d’une traite, sans effets ni arrangements envahissants. Mais le résultat n’est guère concluant. L’ensemble apparaît comme artificiel. Le projet est mis en suspens, puis réactivé rapidement avec une idée simple : réenregistrer les morceaux au Merlin’s Music Box, mais sans public ! Le Dj du club, "Humble" Harv Miller, introduit cette curieuse performance. À l’écoute de l’album, on pense immédiatement aux derniers concerts des Beatles où les cris de la foule couvrent littéralement le groupe. La performance, courte mais intense, se partage entre classiques seedsiens – « Mr. Farmer », « Satisfy You », « Can’t Seem to Make You Mine » et l’inusable « Pushin’ Too Hard » en guise de final – morceaux longs et iconiques – Up In Her Room avait comparé à l’époque au « Sister Ray » du Velvet – et nouveautés. Sur ce dernier point, c’est l’apothéose ! De l’égyptien « Gypsy Plays His Drums » au Doorsien « Mumble and Bumble » en passant par l’inquiétant « Forest Outside You Door » et enfin, qu’on l’entende dans sa version courte de quatre minutes et cinquante seconde ou celle de neuf minutes, l’orgasmique « 900 Million People Daily (All Making Love) ». 

Au-delà des cris en délire qui sonnent exagérément comme on pouvait s’y attendre, les Seeds s’imposent une fois de plus ici, dans cet enregistrement bâtard, comme un groupe hypnotique, climatique comme on l’écrit parfois dans la critique rock. En cela, il préfigure largement tout le Krautrock et notamment CAN. Filiation logique, légitime et donc incontestable qui fait des Seeds un groupe séminal ; là on est autorisé à employer ce qualificatif si galvaudé. Par la suite, Saxon va virer Jan Savage et Rick Andridge, passe de GNP Crescendo à MGM et grave quelques singles bien sentis avec des requins de studio, s’éloignant ainsi de l’efficacité robotique des Seeds de 66-67. La suite de la discographie de Sky Saxon est plus hiératique. Un passage dans la secte musicale des YaHoWa, quelques disques sous son propre nom et une reformation de bon aloi des Seeds avec un très digne « Red Planet » sorti en 2004. Pendant ce temps-là, les autres se font oublier. Avec l’avènement du digital, du streaming et l’explosion de YouTube, Daryl Hooper va lancer, non sans succès, une chaîne proposant démos, tutos et cours de claviers pour disparaitre ensuite. Reste bien évidemment, les disques originaux, réédités, des compilations dans tous les sens, d’imposants coffrets montrant s’il en était besoin à quel point les Seeds furent grands malgré la brièveté de leur carrière. 

The Seeds, Raw & Alive : The Seeds in Concert at Merlin’s Music Box (GNP Crescendo)

raw-and-alive.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=x00NaD5Cjf0&t=2s

 

 

 

 

 

 

 


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