Ian Anderson, prix noble

par Adehoum Arbane  le 26.10.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

Le terme un brin exagéré d’aristocratie du rock a toujours fait se gausser les critiques de tout temps. Il faut dire qu’il est bien mal choisi pour incarner ces parangons de la révolte juvénile et électrique. Pourtant, il n’est pas galvaudé. Pour plusieurs raisons. Nombreux furent les groupes à guitare et autres rock stars viriles à proposer autre chose, c’est-à-dire des morceaux ou albums plus profonds, introspectifs, où la noblesse des sentiments côtoyait le faste des productions grandioses. Un leader, pour le moins assumé, fait partie de ceux-là. Derrière le personnage du clochard élimé, que l’on retrouve sur quasi toutes les pochettes de Jethro Tull, se cache un vrai gentilhomme : Ian Anderson. 

Un album incarne à merveille cette réalité : « Minstrel In The Gallery ». Oh bien sûr, le disque oscille entre les deux formules qui ont fait le succès du groupe : un rock parfois très hard et une orientation plus folk, voire médiévale. Souvent, les titres commencent dans la dentelle pour glisser alors, presque subrepticement, vers un son plus tonitruant. La longueur générale des chansons permet à chaque registre de vivre de façon autonome. Tant et si bien qu’on pourrait largement se contenter des deux minutes et vingt secondes du morceau-titre. Même constat pour « Cold Wind To Valhalla ». C’est d’ailleurs un des points forts d’Anderson : l’extrême raffinement de ces courtes ballades qui apportent, d’un album à l’autre, comme la brise fugace, des respirations. C’était ainsi le cas de « Reasons For Waiting » et surtout « Cheap Day Return », « Wond'ring Aloud » et « Slipstream » sur le merveilleux « Aqualung ». La grande rétrospective « Living In The Past » était au moins aussi exemplaire : on y goûtait les délices de « Christmas Song », « Just Trying To Be », « Wond'ring Again », « Life Is A Long Song » ou encore « Nursie ».

Sous ce déluge de décibels, Anderson ménage malgré tout son auditoire fidèle. Sur ce huitième album, sorti le 5 septembre 1975, on découvre le délicat « Requiem » ou le très touchant « One White Duck / 010=Nothing At All » où Anderson montre à quel point, en plus d’être un songwriter inspiré, il reste un immense chanteur. Le seul à traduire l’émotion de ses chansons, paroles et musiques. « Black Satin Dancer » s’avère un titre entre deux, qui hésite constamment. Doucereux ou sonique ? Pour le savoir, il faut prendre le temps de l’écouter (6’53’’ tout de même !). C’est une valse qui en son milieu joue l’ensorcèlement par le truchement de cette flûte dont Anderson posa le style et que de nombreuses formations imitèrent. « Baker St. Muse, take one… », comme l’annonce la voix, s’impose comme la pièce de résistance de l’album et débute sur des arpèges acoustiques, ce jeu si typique d’Anderson. Peu de guitaristes acoustiques sont reconnaissables dès la première seconde : Stephen Stills, Nick Drake et Ian Anderson font partie de ce petit cercle de virtuoses. « Baker St. Muse » est un condensé de toutes les qualités du groupe, une sorte de « Thick As Brick » en légèrement plus court. L’album se referme sur le très chrétien « Grace », gracieux s’il en est ! 

Mais nous parlions de noblesse, d’aristocratie, des manières d’un gentilhomme. C’est le cas bien évidemment de Ian Anderson. Voilà un homme qui a incarné les valeurs qu’il prétendait défendre musicalement. Malgré ses allures peu recommandables sur pochette comme sur scène, Anderson a toujours privilégié un mode de vie d’un autre temps. Il achète d’abord avec son épouse une ferme du XVIe siècle à Radnage, dans le Buckinghamshire. Il fait ensuite l’acquisition de plusieurs fermes salmonicoles en Angleterre et au Chili. Loin des turpitudes londoniennes, il vit retiré, en gentleman farmer, tel qu’on le devine d’ailleurs sur la pochette de « Songs From The Wood », l’album du retour aux sources (en pleine vague punk). 

Jamais Anderson au sein du Tull n’a cessé d’enregistrer. Comme beaucoup de groupes emblématiques qui s’efforcent de durer, il aura souvent déçu. En revanche, il continue inlassablement de tourner, enrôlant à ses côtés une nouvelle génération de musiciens et rejouant pour le plaisir des fans les morceaux mythiques (et des années non moins mythiques). Pourtant en 2017, il réenregistre ses plus grands succès avec un quartet à cordes pour un résultat des plus surprenants mais qui fonctionne parfaitement, prouvant que l’ambition n’est pas seulement pécuniaire, mais aussi artistique. Démarche démontrant la qualité d’écriture de ses chansons, capables de vivre dans des habits différents. My Lords and Ladies, Minstrel Ian Anderson ! 

Jethro Tull, Minstrel in the Gallery (Chrysalis)

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https://www.deezer.com/en/album/299808

 

 

 

 

 

 

 


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