Burton Cummings Out

par Adehoum Arbane  le 12.10.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

Trouver la fleur de la beauté sur un tas de fumier : le credo a mille interprétations. Faut-il remuer les pires choses de la vie pour exhumer la beauté sous sa forme la plus pure ? Faut-il se compromettre dans un contrat faustien pour accoucher du chef-d’œuvre ? Ou faut-il tout bêtement partir de la banalité pour toucher au sublime, à l’ineffable ? Burton Cummings s’est peut-être posé ces trois questions avant de fonder ce qui restera comme le groupe de sa vie : devinez qui ? Les Guess Who, bien sûr. Pas les Who de Londres mais les Guess Who de Winnipeg, dans le Manitoba, province de l’Ouest du Canada. Vous savez, les auteurs du tube American Woman qu’entonnait le pauvre Kevin Spacey dans « American Beauty » – en référence à une variété de rose et à un album de Grateful Dead – dans une courte scène devenue mémorable. Le film en comporte pas mal, toutes savamment illustrées de chansons pop indémodables. Mais revenons aux Guess Who. 

Leur parcours s’avère exemplaire avec, en guise de point d’orgue, American Woman paru en janvier 1970. Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, les Guess Who auront enjambé leur propre chef-d’œuvre, livrant ainsi des disques de haute tenue jusqu’à leur séparation, en octobre 1975. Cummings débutera une fructueuse carrière solo mais là n’est pas notre propos.  Fin d’été 68, les Guess Who entrent aux studios A&R, à New York, pour enregistrer le tout premier album avec Cummings (il s’agit en fait de leur quatrième) produit par le label canadien Nimbus 9 et distribué ici-bas par RCA. L’album n’est pas un franc succès. Même si le son du groupe est déjà bien en place. Les arrangements parfois envahissants auront certainement nuit à « Wheatfield Soul ». Seul détonne « These Eyes », très produit, mais à la ligne mélodique évidente. « Ces Yeux » seront publiés en single et propulseront le groupe sur le devant de la scène. C’est avec Canned Wheat que les choses deviennent plus sérieuses. On savoure d’emblée la parenté évidente avec Buffalo Springfield. La voix de Burton fait cependant la différence. Les Guess Who excellent dans le registre du rock sauvage mâtiné de pop, avec ses chœurs limpides, presque californiens. « Laughing » est l’équivalent de These Eyes, ballade soul pop tout en trémolos et transcendée par les chœurs de Randy Bachman et de Jim Kale. « Undun » est une autres des nombreuses réussites que compte l’album, avec sa flûte féline et son « tchi-ha » inventant le jingle de Canal + des années avant. 

Fin 69, au terme d’une année marathon qui aura vu la production de trois disques, le groupe s’attaque à « American Woman », son magnum opus. Le morceau-titre montre les nouvelles orientations des musiciens : moins de pop, plus de rock. « Femme Américaine » débute par une intro bluesy des plus traditionnelles, jouée de surcroît à la guitare acoustique. Quand hurle le riff récurrent, l’auditeur est attrapé, pris au piège, séduit d’emblée. Le reste de l’album est à l’avenant. Reprise de « No Time », le combo ultra sexy de « No Sugar Tonight/New Mother Nature », le triumvirat électrique de « When Friends Fall Out », « 8:15 », « Proper Stranger ». Le disque s’achève sur la reprise du thème « Humpty's Blues/American Woman (Epilogue) ». Au milieu, « Talisman » dénote, malgré sa troublante beauté, sa religiosité tout en retenue. Viendront ensuite la même année – quelle force de travail est alors le groupe ! – « Share The Land » et « So Long, Bannatyne » en 1971, et ce fameux « Live at the Paramount » sorti officiellement en 1972 – équivalent du « Absolutly Live » des Doors – dont il faut réécouter la version CD, enrichie pour l’occasion. Et nous en venons à la thèse du début. 

Burton Cummings a su trouver la fleur de la beauté sur le tas de fumier du blues. Aucune condescendance dans ce constat. Pas tant parce qu’il n’a jamais oublié, avec ses camarades, ses premières amours pop, mais parce qu’il a réussi à incarner la figure délicate du poète rock. Sans avoir la beauté d’un Morrison, ni son affèterie verbale, Cummings possède une voix, un sens du songwriting qui s’expriment au mieux dans les versions live de leurs propres standards du fameux concert « At The Paramount » (1972). Il y a bien évidemment les morceaux de bravoure comme « Pain Train », « New Mother Nature », « Runnin' Back To Saskatoon », « Truckin' Off Across The Sky » et la démentielle réinterprétation de « American Woman », longue de seize minutes et cinquante-quatre secondes, où Cummings touche au sublime en improvisant une diatribe sexy et gonflée – american slut, american lesbian, american nurse – et de partir dans un scat mémorable faisant de lui le performer qu’il a, au fond, toujours été. Et encore fois, à mille lieues du bouffon alcoolique, pour reprendre les termes lester-bangsiens, qu’était devenu bien malgré lui Jim Morrison. À ce propos, ce dernier retrouvera une verve cummingsienne sur l’éternel « L.A. Woman », paru le 19 avril 1971. Mais la poésie de Burton Cummings se trouve aussi dans ses chansons eltoniennes, « Sour Suite » ou « These Eyes », impériale dans sa version scénique et où Cummings s’impose comme un crooner à la Sinatra. 

En résumé, les Guess Who auront réussi, plus que les Doors, ce cross-over jugé impossible entre le style soyeux de Soft Parade et la rudesse d’un rock au fer rouge. Sans jamais se départir de la classe, indispensable à la figure mythifiée du frontman. Seul bémol, une reconnaissance post-seventies insuffisante, une forme d’invisibilité, pour emprunter au langage contemporain, qui aura vu le groupe relégué au second plan de la notoriété, à contrario de son homologue américain. Puisse cette modeste contribution lever le voile de l’interrogation pour que les « devinez qui ? » deviennent enfin les « divins, quoi ! ». 

The Guess Who, American Woman (RCA Victor)

american-woman.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/108412

 

 

 

 


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