Sylvia Hansel, coeur de Lou et plus encore

par Adehoum Arbane  le 27.09.2021  dans la catégorie A new disque in town

Les quatrièmes de couverture ont traditionnellement la fonction de résumer le roman que nous tenons entre les mains et de faire une courte présentation de leur auteur. L’espace dévolu ne permettant pas d’aller au-delà des informations d’ordre biographique, il est alors recommandé, si l’on est séduit par le titre ou le sujet, de se plonger dans la lecture du dit bouquin. Pour le cas de la romancière Sylvia Hansel, notons au préalable que « Cannonball, l’adolescence n’est pas une chanson douce » est sa troisième publication. Nous avons donc affaire à une femme de lettres chevronnée. Comme pour ses précédents romans, elle puise largement dans sa propre existence la matière de son inspiration. Sauf qu'ici, tout est vrai ! Nous pouvons ainsi qualifier « Cannonball » d’autobiographie. Le sous-titre le mentionne, Sylvia Hansel a choisi de faire resurgir les souvenirs des années 1993-2001, en somme ceux de son adolescence. 

Tous ces éléments – titre, sous-titre, pitch et bio – permettent de situer Cannonball et de nous dire, déjà, que nous avons affaire là à un roman singulier. Mais est-ce suffisant à ce stade ? Non, bien sûr. Alors, regardons à l’intérieur, le sommaire. Sylvia Hansel a opté pour un parti-pris relativement simple : une sélection de ses cinquante chansons préférées – une chanson, un chapitre – constitue l’ossature de son récit, chacune permettant à la romancière de se raconter. Ce choix est malin à plus d’un titre. Même si l’usage de la K7 peut sembler suranné, voire antique, cette dernière parlera à tous. Nous avons tous fait, à un moment donné et pour des raisons différentes, des compilations, qu’elles soient gravées sur K7, CD ou stockées sur un baladeur mp3. La démarche de Sylvia Hansel possède donc un caractère éminemment universel. De plus, nous entretenons tous un rapport singulier avec les chansons. Nous les avons découvertes seul ou en famille, dans notre cercle amical. Elles correspondent à des périodes de notre vie et deviennent ainsi, encore aujourd’hui, des révélateurs de souvenirs. Chez Sylvia Hansel, ces souvenirs-là sont contrastés, tantôt heureux, tantôt mélancoliques, pour ne pas dire tristes. Mais c’est là un des charmes de Cannonball. En plus d’apprendre des choses sur la musique – c’est l’apprenti rock critique qui parle – on découvre une personne, une sensibilité, un caractère aussi. 

Et de là une conclusion qui s’est vite imposée tout au long de la lecture du roman. Ici, la narratrice fait immédiatement songer au dessinateur américain, Robert Crumb, à quelques nuances près. Robert Crumb, cet homme que l’on perçoit vite comme obsédé, bougon, intransigeant quand il s’agit de goûts musicaux. Certes, vous m’objecterez que comparaison n’est pas raison. Mais reprenons ces points, un par un : 

       Quand Crumb paraît, dessins à l’appui, obsédé par les femmes en chair, notre adolescente, elle, s’amourache de beaux garçons aux longs cheveux bouclés, aux allures de rock stars, son objectif dans la vie (devenir une rock star). L’obsession chez Sylvia Hansel n’est jamais libidineuse ni lourdingue, elle montre une personnalité fleur bleue dirons-nous, romantique en diable, qui arrive à concilier en permanence coups de cœur et coups de gueule. Le mode épistolaire et la compilation K7 comptent parmi ses atouts pour séduire, but auquel elle ne parvient pas toujours. 

      Quand Crumb peine à sourire à chaque strip, Sylvia ne ménage pas nos nerfs en envoyant paître famille, professeurs et fausses copines de bahut. Il y a quelque chose de torturé chez elle, de Syd Barrettien aussi, cette manie de parfois de perdre confiance et de gâcher ses chances (pas toujours, vous le verrez). Certes, mais ces tempêtes qui agitent son cœur et son esprit, qui la font gamberger dans des proportions folles, nous les avons aussi ressenties au plus profond de nous : l’incompréhension, l’incapacité à recevoir l’amour que l’on envoie, fut-il par missives ou chansons interposées. Ce nœud-là est récurrent dans les romans de Sylvia Hansel mais reste extrêmement touchant. Il permet à la romancière de rester à bonne distance des écrivains ineptes qui n’ont rien à dire en dehors des banalités d’usage et des exercices narcissiques forcés. 

     Enfin quand Crumb assume de manière définitive sa passion pour le Blues, Sylvia Hansel ne résiste pas au plaisir de bousculer personnages – et lecteur ! – en jetant cul par-dessus tête la production musicale mainstream, rap, techno, reines et rois du Top 50 ! Comme Crumb avec le Blues (malgré la pochette pour Janis Joplin, Crumb disait détester le rock), la romancière assume ses goûts parmi lesquels les Stones, le Velvet, les Who et les Breeders, pour ne citer qu’eux, roulent en pole position. Pour en revenir au genre fondateur, le Blues ce n’est pas Narcisse au pays des 3 accords mais bien une forme d’introspection. Or Sylvia Hansel se sert de ces trois accords, enfin un peu plus, et reprend les mêmes thèmes récurrents : le voyage (ici en trains de banlieue et en bus), la déception amoureuse (il y en a quelques-unes dans Cannonball), la vie et la mort (on n’en dit pas plus). Le tout dans un style alerte, à la fois direct et imagé, nous donnant l’heureuse impression d’être dans la même pièce que la narratrice, assis auprès d’un bon feu à écouter ses histoires et ses romances. 

Nous avons fini par-là, mais Cannonball est aussi et surtout une déclaration d’amour à la Pop au sens le plus large du terme. Et ce n’est pas un hasard si elle en a fait son métier, ou ses métiers : journaliste, musicienne, podcasteuse ; les podcasts semblent avoir remplacé les K7 d’antan auxquelles elle reste cependant et toujours fidèle. Les miennes, misère, ont toutes fini à la déchetterie. Adieu les Face A Benefit de Jethro Tull, Face B In Search of The Lost Chord des Moody Blues que j’écoutais dans le bus qui m’emmenait tous les mercredis aux cours particuliers de maths, les compilations d’Hendrix, les K7 officielles des Doors (Strange Days-Morrison Hotel), de Deep Purple et de Neil Young (Harvest), (Dope, Sex and) Cheap Thrills de Big Brother dont j’avais reproduit intégralement l’artwork et le fameux Live/Dead… J’y repense parfois, larme à l’œil. Je songe aussi aux compilations K7 puis CD que j’envoyais à mes promises. Aujourd’hui, je les refais pour ma fille. Voilà, la musique, c’est l’histoire de nos vies pour paraphraser… une célèbre chanson ! 

Sylvia Hansel, Cannonball, l’adolescence n’est pas une chanson douce (éditions Intervalles)

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