Crosby, Stills &Nash, le feu sacré

par Adehoum Arbane  le 07.09.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

Il existe un point commun entre Magma, le groupe français de jazz rock coltranien, et CS&N. Il ne s'agit pas bien sûr de leur nationalité respective ou même de leur univers musical d’appartenance. Certes les deux formations ont fait leurs débuts la même année. Le célèbre trio sud-californien enregistre son premier album entre février et mars 1969, et le sort le 29 mai. En 1969, de retour d’un voyage quasi prophétique à Turin, Christian Vander réunit Laurent Thibault, René Garber, Francis Moze et le chanteur Zabu au sein d’un nouveau groupe, Uniweria Zekt Magma Composedra Arguezdra, qui deviendra rapidement Magma. Après quelques changements de line-up, leur premier album arrive dans les bacs en avril 1970. Mais ce n’est pas cette convergence temporelle qui connecte ces deux entités aux antipodes. Le soleil de Laurel Canyon versus le Rouge et le Noir magmaïen. 

Crosby, Stills et Nash pour leur part ne sont pas des perdreaux de l’année. Crosby a créé les Byrds avec ses amis Roger McGuinn et Gene Clark. Nul besoin de revenir sur leur parcours, connu de tous. Ils sont alors les Beatles américains. Le précédent groupe de Stills n’est autre que Buffalo Springfield – véritable bulldozer qui ne fut pas celui espéré en matière de ventes –, qu’il partage alors avec Neil Young, entre autres. Quant à Nash, il nous vient de Grande-Bretagne. Membre fondateur des Hollies qui eurent le privilège de rejoindre – leur unique titre de gloire – le peloton des quatre plus grands groupes pop anglais après les Beatles, les Stones et les Kinks. Nash se sent peu à son aise dans la formule un peu standardisée de groupe à tubes. Il veut donner corps à ses nouvelles aspirations artistiques. Il prend alors une lourde décision : quitter l’Angleterre pour aller s’installer en Californie, nouvel Eldorado pop faut-il le rappeler. Il avait rencontré Crosby et Stills à l’occasion d’une tournée US des Hollies en 1966. En 1968, il revient au cœur du Canyon et ce, définitivement. La légende prétend que Crosby, en rupture des Byrds, et Stills, ex-Buffalo donc, jouaient ensemble « Helplessly Hoping », une nouvelle composition de Stills. Nash débarque à l’improviste, la répétition reprend et, fort naturellement, ce dernier harmonise avec ses deux copains. La magie opère. Il s’est passé quelque chose entre ces trois-là. 

Et on en revient donc au début de ce récit. Au propos. L’ambition de CS&N est bel et bien de fusionner trois voix en une. Dans un magma harmonieux. Ils ont conscience que l’alchimie qui se crée, en plus des splendeurs qu’elle génère, a quelque chose de nouveau. Même les Mamas & Papas ne sont pas allés aussi loin dans la symbiose. Plusieurs choses au sujet de cet album unique (le suivant verra le groupe évoluer à quatre voix !). Il s’agit d’abord de l’enregistrement le plus emblématique de la scène de Laurel : le trio produit une musique lumineuse, limpide et accrocheuse. Qu’elles évoluent d’un registre à l’autre, de la ballade mélancolique au rock plus énergique, il se dégage de ces dix chansons une sincérité qui doit beaucoup au parcours de ses créateurs mais aussi à l’endroit qui les ont vues naître. Comme nous l’avons déjà dit, ce disque n’a rien à voir avec ce qu’ont déjà produit les Byrd, Love, Mamas & Papas, Turtles etc, même s’il en est le prolongement logique naturel. CS&N apparait d’emblée comme une œuvre singulière et moderne, pour l’époque. En plus de l’alliage rêvé de ces trois voix, superbement botticelliennes, leurs auteurs font preuve d’un talent dans le songwriting qui permet au groupe de se démarquer rapidement, puis de s’imposer. 

Enfin, dernier aspect et pas des moindres. Dans cette formule-là, Stills tire très largement son épingle du jeu. Il signe quatre chansons dont l’entame épique de « Suite - Judy Blue Eyes » et coécrit « Wooden Ships » avec Crosby et Kantner (de l’Airplane). De même, il joue de tous les instruments, guitare, basse et orgue, Dallas Taylor et Jim Gordon se partageant la place derrière les fûts. Graham Nash n’est pas en reste qui livre trois chansons mémorables. Quant à Crosby, ce dernier ne dément pas sa réputation de merveilleux dilettante. Il offre deux compositions. Et les chansons dans tout cela ? Elles sont toutes d’égales qualités, malgré la diversité du matériel et la personnalité de leurs auteurs. « Marrakesh Express » de Nash est une réjouissante évocation d’un voyage à Casablanca. Sans temps mort, il enchaîne sur « Pre-Road Downs ». Sublime ballade aurorale, « Lady Of The Island » convient merveilleusement au timbre du musicien anglais. Crosby est le moins productif mais ses compositions sont toujours singulières : « Guinnevere » annonce ce qu’il fera sur son tout premier album solo. On pense aussi au premier album de son amie Joni Mitchell qu’il produira sans fard. « Long Time Gone » est un blues auquel l’ajout des voix de ses camarades et la production donne une dimension autre. Pour en revenir à Stills, ses chansons portent la marque des grands songwriters. « Suite - Judy Blue Eyes », nous l’avons déjà dit, brille de mille feux et trouvera sur la scène de Woodstock une réinterprétation toute aussi iconique. Les harmonies vocales, le jeu de guitare acoustique de Stills, très mystique, et le brassage des influences, en font un des meilleurs moments du disque. Pareil pour « You Don't Have To Cry » et le bouleversant Helplessly Hoping. «49 Bye-Byes » est un final tout aussi épique que « Suite - Judy Blue Eyes », bien que plus nuancé, plus mélancolique aussi. 

C’est déjà la fin d’une nouvelle aventure. Le trio deviendra vite quatuor. Pour jouer les morceaux live, le groupe a besoin d’un guitariste de plus. Ce sera donc Neil Young. L’osmose, bien que différente, fonctionnera au point d’envisager un nouvel album, Déjà Vu. Ce dernier enfoncera le clou du succès qu’avait déjà annoncé CS&N avec ses quatre millions d’albums vendus. Moins que Meet The Beatles. Plus que Help ! Malgré la performance commerciale, il émane de ce premier enregistrement une certaine spontanéité, une décontraction rare pour des rock stars d’une telle envergure. Celle-ci se voit sur la photo qui illustre la pochette. Accompagnés du célèbre photographe Laurelien Henry Diltz, les trois jeunes musiciens cherchent un lieu pour leur séance photo. Un vieux canapé devant une bicoque abandonnée semble faire l’affaire. Le résultat laisse le sentiment de se retrouver dans l’une des demeures du Canyon. Deux mois et dix jours après la sortie du disque, Sharon Tate est assassinée par la Manson Family dans la propriété de Terry Melcher. Le meurtre va ébranler la petite communauté artistique du Canyon. Et pourtant. Encouragé par Nash qui lui avait mis la pression – Déjà Vu n’avait pas de chanson d’ouverture ! –, Stills compose « Carry On » dans la nuit et l’enregistre le 5 novembre 69. Stills écrit ces paroles de résilience : « The sky is clearing and the night has cried enough/The sun he comes the world so often up/Rejoice, rejoice, we have no choice but to carry on. » Continuer ! L’amour vient à nous tous. 

Crosby, Stills & Nash (Atlantic)

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https://www.youtube.com/watch?v=X5N2WRh2Jj8

 

 

 

 

 

 


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