Les Byrds, l’envol

par Adehoum Arbane  le 27.07.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

Ce peut être une provocation que de dire cela, mais les Byrds furent des esclaves. Affranchis cependant. Ils auront d’abord coupé les chaînes qui les reliaient à la musique noire, le blues, puis celles qui les rattachaient à Dylan, leur maître. Et pourtant, la musique des Byrds n’est pas profondément nouvelle, même si elle fut audacieuse. C’est le mariage d’une tradition européenne, appelée folk music et du nouveau rock tel qu’il est en train de s’esquisser en Angleterre mais aussi et surtout en Californie. Un rock qui cherche une porte de sortie – si l’on ose dire – et qui va trouver l’issue du côté de Coltrane, voire du free jazz dans une quête incessante d’atonalité.  

S’affranchir du blues pour s’en retourner au jazz, ok, certains vont flairer l’entourloupe analytique. En d’autres termes, s’extraire d’une forme d’appropriation – le vilain mot contemporain – pour se jeter corps et âme dans une autre. Ce qui n’est pas faux à ceci près que les influences qui traverseront bientôt la musique des Byrds, tel un siroco doucereux, sont purement américaines. Certes, la polyrythmie a concerné des traditions musicales extra européennes, indiennes, arabes et africaines, mais le creuset du jazz, né des musiques percussives et fonctionnelles, mais aussi du ragtime, du gospel et du blues, en fait un genre déjà assimilé. Par ailleurs, les héros des Byrds comme Coltrane ou Davis ont bien souvent fantasmé leurs origines, les intégrant apostériori. Coltrane n’aura jamais posé un pied sur le continent africain ce qui ne l’empêcha pas de s’imprégner de ses propres racines pour fomenter sa révolution musicale. Revenons aux Byrds. Fifth Dimension n’est sans doute pas leur album le plus notable, il n’en demeure pas moins exemplaire d’une approche réinventée. Les Byrds se jettent de leur avion en plein vol, planant à des hauteurs qui furent celles des Beatles, pour ne citer qu’eux. Enregistrées entre janvier et mai 1966, les onze chansons n’annoncent rien de moins que les couleurs du Flower Power, mais pas dans sa version publicitaire. Si l’on met de côté la fameuse reprise de Billy Roberts, Hey Joe (Where You Gonna Go), très éloignée de celle de Hendrix, mais trop proche de celle de Love pour briller au firmament pop, le reste ne montre pas mais ouvre la voie. 5D est une ballade ondoyante signée McGuinn, encore folk mais suffisamment étrange pour intriguer. Wild Mountain Thyme et son orchestration un tantinet envahissante offre des guitares claironnantes. Mr. Spaceman relève du faux ami qui semble traduire un titre ouvertement psyché, ce qu’il n’est pas. Il s’agit malgré tout d’un single efficace bien dans la veine byrdsienne. I See You est le véritable tournant de cette première face. Coécrit par McGuinn et Crosby, il appartient philosophiquement à ce dernier et les contorsions suaves de la guitare électrique ont déjà ce je ne sais quoi de jazz. What's Happening?!?! et ses effets au moment du chorus de douze-cordes prolonge cette heureuse et diffuse impression. La première face se referme sur l’évanescent I Come And Stand At Every Door, reprise du poète turque Nâzim Hikmet. 

La face b démarre. Eight Miles High est un concentré philosophique. La musique n’est ni vraiment blanche ni totalement noire, mais un peu des deux, c’est un entrechat papillonnant d’une culture à l’autre, quelque chose d’inédit. Tout y est parfait, la basse viril, la guitare tordue – dans tous les sens du terme – les chœurs très pop, l’incontournable solo mais décliné ici en un crescendo tourbillonnant. À l’époque, seuls les Fabs osent un tel métissage (Revolver)… mais quelques semaines après les Byrds. 5D est quasiment dans la boîte au moment même où les quatre de Liverpool entrent en studio. Ici, nos musiciens revendiquent l’emprunt au jeu de Coltrane, l’appliquant à la guitare, posant ainsi les bases de l’acid-rock et du San Francisco Sound (alors qu’ils sont de L.A.). Il est vrai, Crosby a toujours été fasciné par Frisco. La suite peut décevoir, Captain Soul jouant la carte de l’instrumental funky avant l’heure mais relativement bouche-trou. Quant au final (en deux minutes et vingt-deux secondes chrono) de 2-4-2 Fox Trot (The Lear Jet Song), s’il séduit par son côté trippant et répétitif – marque de la transe psyché –, il n’atteint cependant pas le niveau de Eight Miles High. Reste bien évidemment le traditionnal John Riley dont la dimension folk se plie avec bienveillance aux exigences acides. Se finissant sur un rideau de cordes, cette merveilleuse chanson éblouit encore aujourd’hui l’auditeur patient et chanceux. 

Le 6 février 1967, Younger Than Yesterday achèvera la mue jusque The Notorious Byrd Brothers (15 janvier 1968) qui, malgré le départ de Crosby, poursuivra l’aventure vers la reconnaissance – le cristallin Wasn't Born To Follow figure en bonne place sur la BO de Easy Rider. Après, les Byrds oublieront Coltrane, s’en retournant à la Country and Western. Autre genre affranchi en quelque sorte. Histoire ne plus faire de faux procès aux rockeurs et poppeux males, blancs et soi-disant dominants. 

The Byrds, 5D (Columbia)

5d.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/111938

 

 

 

 

 


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