O Captain Sensible, my Captain Sensible !

par Adehoum Arbane  le 29.06.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

Le nom de Sergueï Malioutine ne vous dira peut-être rien et ce n’est pas en soi un problème. L’homme est entré dans l’histoire par la petite porte. Il est l’inventeur d’un objet que nous connaissons tous très bien, qui fascine même jusqu’à nos enfants. La matriochka ou poupée russe, bibelot gigogne représentant une paysanne traditionnelle. Quel rapport me direz-vous avec la pop music en général et avec Raymond Burns en particulier. Aucun en apparence, surtout lorsque l’on découvre le nom d’artiste derrière ce patronyme si patibulaire : Captain Sensible. 

Ce dernier ne vous semblera pas familier de prime abord. Il demeure cependant un vétéran de la scène punk anglaise de la fin des années soixante-dix. Il forma les fameux Damned où il officia sous ce grade en tant que bassiste pendant cinq albums. En 1982, il se lance en solo et sort en septembre de la même année son tout premier album – il y en aura d’autres – et qui nous intéresse ici, Women and Captains First. Ici, une chanson peut en cacher une autre et l’on va ainsi de surprise en surprise. Le disque s’ouvre sur le méga tube WOT (He said Captain, i say wot) sur lequel une bonne moitié de la planète a dû danser. Avec son riff funky et son phrasé hip-hop, Wot entre immédiatement dans les esprits. Mais derrière le rap, il y avait Syd Barrett. Juste après donc, notre capitaine balance tout de go A Nice Cup Of Tea comme s’il avait décidé de réhabiliter The Madcap Laugh. Cette deuxième poupée est une franche réussite, bien dans la tradition pop britannique. S’en suit Brenda, part I & II. Première partie ultra pop, très addictive, deuxième partie plus métronomique, tout en paliers et servis par des synthés et une guitare jouée par Robyn Hitchcock, lui donnant des allures de standard kraut. Avec Yanks With Guns, on franchit un cap dans la découverte, avec sa guitare heavy et son chant halluciné typique d’un certain rock US. Pour ceux qui en douteraient, le Capitaine n’en oublie pas pour autant son bréviaire pop et la chanson de nous coller aux basques malgré ses « Hé » paradoxalement très ruskov. Certes, le capitaine opte pour un son de synthé en douce chinoiserie, cela n’empêche guère Happy Talk de rester une comptine comme seule la Perfide Albion peut en oser, dressée en épaisses couches sucrées de mauvais goût à la manière des pires comédies musicales. Mais la chantilly semble prendre. Il y a dans cette courte chanson quelque chose de jouissif, d’instantané. Un plaisir coupable me direz-vous ? Oui ! 

La face B reprend avec la chanson sœur de Brenda, Martha The Mouth. Captain Sensible nous le prouve à nouveau, il n’est pas le dernier en matière de songwriting et cette chanson de vibrer intensément, avec son clavier tout en ligne claire. Allez, ouvrons une autre poupée. Et paf, Nobody's Sweetheart ! Sorte de standard New-Orléans au parfum des années folles. Même s’il démarre sur un riff et un son rappelant les U2 et Midnight Oil des débuts, (What D'Ya Give) The Man Who's Gotten Everything retrouve vite le charme pop insulaire grâce au refrain judicieusement confié aux choristes de Dolly Mixture, trio féminin de post-punk.  L’intermède Who Is Melody Lee, Sid? Mène droit vers Gimme A Uniform, déclinaison de Wot dont le refrain finit par nous attraper par le bas de pantalon. Au moment où nous faisons demi-tour pour voir comment se termine ce premier essai en solo, on est subjugué par le très beau Croydon, chanson chorale comme dirait la critique cinématographique d’en France. Mais il y a du vrai dans ce qualificatif hautement galvaudé.  Accompagné une fois de plus de Robyn Hitchcock et des filles de Dolly Mixture, Captain Sensible donne libre court à sa sensibilité, chante merveilleusement bien sur une mélodie ouverte comme un horizon ; celui d’une carrière.  

À quoi tient le génie du peuple anglais ?  Au fait de pouvoir être à cheval sur les principes, la bienséance, tout en reversant la table – dixit l’irrésistible pochette. D’être à l’heure du thé et de la révolution, fut-elle punk.  Soit être tout à la fois conservateur et moderniste. C’est peu dire que Captain Sensible fut lui aussi sensible à cette règle gravée dans le marbre britannique. Tradition qu’il honore ici et qui nous donne envie de le lui envoyer, debout sur une table de classe, poumons gonflés, un franc et inspiré « O Captain ! My Captain ! ». 

Captain Sensible, Women and Captains First (A&M)

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https://www.deezer.com/en/album/161806

 

 

 

 

 


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