Noir soleil de midi

par Adehoum Arbane  le 22.06.2021  dans la catégorie A new disque in town

À l’heure où les mythes et autres contes sont menacés de déconstruction, penchons-nous sur l’expression « la belle endormie ». Celle-ci a été reprise par nombre d’artistes peintres mais a aussi parfois servi à nommer des villes de France qui avaient tendance à végéter, à se cristalliser dans un passé révolu. Sachez que l’on pourrait en dire autant du rock et de sa production contemporaine. Détrôné pour de bon par le rap, le rock fait figure de grand cadavre à la renverse. Mais il semblerait que ce dernier bouge encore. Par frémissements, dans un ultime réflexe nerveux avant de se raidir dans une mort clinique que de nombreux chroniqueurs indélicats n’ont eu de cesse d’annoncer.

Mais le rock est bel et bien vivant. Un groupe le démontre, et avec quelle force ! Nommons-le et sans ses lettres capitales : black midi. Leur deuxième album récemment sorti, Cavalcade, est à l’image de sa pochette : un patchwork d’impressions diverses mais vivifiantes, un miroir brisé en mille éclats sonores. Tout au long de ces quarante-trois minutes incandescentes, le groupe passe habillement d’un genre à l’autre dans un magma de sons, de cris, qui n’est pas sans rappeler… Magma, le groupe. S’arrêter à cette référence serait une paresse tant les influences sont ici parfaitement digérées au point de se dire que nous écoutons bien un disque de black midi et rien d’autre. Dans son versant le plus tellurique, on pense aussi à King Crimson période Red. Quant à la voix, elle pourrait parfois rappeler le Bowie tardif, âgé, celui de Blackstar. Mais puisqu’il est question d’âge et d’identité, qu’en est-il de black midi ? 

Il s’agit d’une formation anglaise des plus récentes et constituée de quatre jeunes hommes, vingt ans à peine, ayant fait d’un genre musical japonais le nom et la promesse de leur quête musicale. Le black MIDI utilise une interface digitale afin de démultiplier le nombre de notes à l’infini. Extrêmement difficile à jouer, cette technique de composition semble prendre sa source dans la pièce The Black Page, écrite par Frank Zappa et réputée impossible à reproduire. Alors qu’il s’attèle au projet Cavalcade, l’un des guitaristes quitte momentanément le groupe, avanie qui n’empêche nullement les trois membres de poursuivre l’aventure et de s’entourer, pour la bonne cause, de musiciens additionnels dont un saxophoniste, un violoniste et un claviériste. Lorsque l’on confronte l’image de nos membres et la musique qu’il nous offre, les choses semblent incompatibles. On s’attend à découvrir des solistes quadragénaires, érudits, geeks, on tombe sur des petites frappes boutonneuses tout juste sorties du lycée. John L, qui ouvre l’album, est un maelström. Une tempête. Un déchaînement de rythmes contenus et maîtrisés sur lesquels soufflent les braises d’un saxophone dissonant. Une voix monocorde déclame un texte qui pourrait être une harangue politique alors que les breaks s’insinuent, plongeant l’auditeur dans un agréable tournis. 

Marlene Dietrich rompt ce cycle infernal de violence en un seul titre, on dirait une chanson romantique d’Antony & The Johnsons bien qu’elle conserve ce sens du rythme, cette élasticité remarquable. C’était précisément l’objectif de ce deuxième essai au regard du premier : rendre la musique plus acceptable, plus mélodique donc. Chondromalacia Patellaretourne aux fondamentaux intellos-bruitistes de black midi mais pas que. Riff d’ouverture frippien, basse serpentant entre les lignes de batterie, tout cela, bien que très savant, relève à l’évidence de la transe. Mais en plus musculeux qu’au tout début du disque. Le piano fait son entrée. On est en terre jazz. La voix survole cette trame en mouvement. Le groupe n’a pas son pareil pour produire une musique plastique, malléable. Deuxième extrait de l’album après John LSlow poursuit dans la même veine si ce n’est le changement de vocaliste. Plus douce, plus jeune, la voix perce dans ces méandres rythmiques, se frayant un chemin à travers la jungle. Repenser au Magma des années 73-74 n’est évidemment pas abusif, même si Slow ne se pose pas en simple copie. Sa longueur lui permet d’explorer de nombreuses dimensions, de s’arrêter en route, de ralentir le pouls, de permettre aux guitares de bavarder un peu, sans démesure. Il y a quelque chose de languide dans ces accords. Le sax remet tout le monde d’accord et le morceau d’équerre. C’était sans évoquer le clip animé, tout aussi déjanté-dérangé que le morceau. Diamond Stuff porte si bien son nom qu’il démarre dans la clarté et la blancheur du cristal. Nous sommes loin du noir promis par le patronyme. Étonnant travail des guitares auquel s’ajoute le violon et sans doute d’autres instruments. Précisons à ce moment précis que Cavalcade possède son équilibre, sa symétrie parfaite entre splendeur astrale et déferlement sonique. Dethroned, déchu donc. On a l’impression du contraire. Ce Roi Noir semble tout dévaster sur son passage, laissant la concurrence exsangue. Courte séquence avant le grand final, Hogwash and Balderdash renoue avec l’esprit de John L, du moins dans sa dimension incantatoire. Ascending Forthsonne comme une compo de Magma, donc de Coltrane. On en revient à la base. Sublime balade à la spiritualité contenue, slalomant le long des lignes de guitare et de violon, prouvant qu’on peut être mature à 20 ans, comme un suzerain de jadis, un Arthur des temps nouveaux. Et si black midi est Arthur, alors Cavalcade est Excalibur. 

En guise de conclusion, notons cette incongruité tendancielle : bien que sorti en vinyle, l’album apparaît plus adapté au format CD. Sans doute la pureté diamantaire du support ne pouvait que convenir à cette musique de strates. De même que le label à la tradition indie ne pouvait laisser présager une telle œuvre à la poésie aussi mathématique. Avant-prog prétendent certains. Ce monde d’avant est bien présent, il incarne sans doute le futur. Cavalcade est le chef-d’œuvre qu’on n'attendait plus. Depuis de lustres. Son lustre vainqueur nous assomme ! Comme un remède de cheval qui voit l’auditeur guéri et terrassé à la fois.  

black midi, Cavalcade (Rough Trade)

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https://bmblackmidi.bandcamp.com/album/cavalcade

 

 

 

 


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