Gloria, grattes Sabbat

par Adehoum Arbane  le 04.05.2021  dans la catégorie A new disque in town

Il est une tradition musicale où la France excelle – hum hum hum –, il s’agit de l’adaptation. Choisir une chanson de la pop culture anglo-saxonne, archi connue de préférence, et l’adapter en français, paroles et musique. Prenez House of The New Rising Sun et transformez-la en Les portes du pénitencier. Faites de même avec Do Wah Diddy Diddy pour proposer Vous les copains, je ne vous oublierai jamais. Même topo pour December, 1963 (Oh What A Night) qui devient Cette année-là. Originaire de Lyon, le sextet Gloria a décidé d’adapter un genre entier, le psychédélisme. Me direz-vous, rien de bien nouveau. En effet, on ne compte plus le nombre de formations qui, de par le monde, déclinent cette martingale lysergique. Gloria a juste poussé les curseurs plus loin. 

Le premier est, si l’on ose dire, d’ordre organisationnel. Gloria réhabilite la formule éprouvée des formations californiennes mixtes. Avec quelques libertés. Là où l’Airplane, pour ne citer qu’eux, jouait sur le couple vocal Slick/Balin, Gloria propose une trinité féminine, soit Amy Winterbotham, Wendy Martinez et Marie-Louise Bourgeois. Mais la comparaison s’arrête là. Musicalement, on pense illico à des références moins anglo-américaines comme les Shocking Blue ou mieux, Earth & Fire menée par la chanteuse néérlandaise Jerney Kaagman. Le deuxième concerne l’instrumentarium. Chez Gloria, l’attelage guitare/orgue côtoie les percussions impressionnistes, les flûtes vénales et antiques, les clavecin baroque et mellotron vaporeux. Quant au genre précédemment cité, il se situe à cheval entre les décennies sixties/seventies, balançant ainsi avec une nonchalance éthérée entre psychédélisme enfantin et prog rock adulte. À ce propos, une récente compilation en trois partie – hasard ? – judicieusement appelée « Living On The Hill, A Danish Underground Trip 1967-1974 » explore ces sables mouvants liant les deux genres. Quoiqu’on en dise, l’Europe n’a jamais été à la remorque de l’Angleterre et des USA. Elle a su au contraire incorporer au modèle anglo-saxon des éléments plus primitifs, traditionnels, une forme de localisme avant l’heure, évitant ainsi le bête décalque. Et Gloria de se situer habilement dans ce courant-là. Et la musique, les chansons ? 

Nous ne ferons pas au groupe l’offense de parler de morceaux, car l’une des qualités de ce deuxième album réside en partie dans l’écriture où prédomine une réelle efficacité. Sans se perdre dans un songwriting tentaculaire ou trop intellectuel, Gloria choisit pour exprimer son psychédélisme une ossature solide comme en témoigne le titre d’ouverture, Sabbat Matters. « Come to the Sabbat » fait partie de ces invitations qu’on ne peut refuser. À la bonne heure, nous avons décidé de poursuivre l’écoute. Holy Water prolonge de façon réfléchie la précédente tonalité, soit une musique étrangement séduisante, parfois inquiétante et où les guitares ne sont pas là pour faire de la figuration. Holy Water est une rivière sacrée s’écoulant d’une montagne, elle aussi sacrée, vous emportant dans son flot continu. On songe alors aux mots de Jim Morrison/Val Kilmer lorsqu’il évoque, devant un Ray Manzarek/Kyle MacLachlan hilare, les adoratrices de Dionysos, les fameuses Ménades. Nous y sommes ! Leurs chants mélangés ou alternés est un enchantement, un filtre d’amour et de mort, que l’on boirait jusqu’à la lie si le disque ne s’arrêtait pas. Tout cela étant provisoire, les choses finissent toujours par revenir à la normale. Avec Space Rocket, on passe du pied de la montagne à la rampe de lancement, direction les étoiles. Et mêmes si les riffs se font plus lourds, la mélodie nous propulse dans la stratosphère. Miss Tambourine s’impose comme une pause, une ballade sinueuse traversée ça et là d’orages électriques. Skeletons referme cette première face sur une note plus conventionnelle, plus blues, même si tout y est parfaitement en place, les chœurs jouant avec délice leur rôle théâtralement horrifique. 

Face B, on ne rigole plus. Riff ténébreux avec clavecin syncopé dans un style assez proche du combo san franciscain Morning Glory. Surtout, on a affaire à un tube en puissance, le mot est à dessein. Refrain des cimes, parfait, addictif comme un slogan pop : You Had It All. LE classique de Gloria, rien de moins ! Back In Town apparaît clairement comme le point faible de ce disque, trop Dolce Vita pour ce psychédélisme sombre et tempétueux que nous avions jadis – il y a quelques minutes encore – prisé. Avec son farfisa diamantaire, Dance With Death assure habilement la transition vers la fin du disque. Night Biting, La morsure de la nuit, vous prend dans ses mâchoires comme les cerbères surgis de notre imaginaire. Là encore, le refrain sans être inutilement bavard, fait admirablement le job, sans parler des percussions courant tout du long, comme une tribu enragée dans une jungle instrumentale. Notons au passage tout le savoir-faire technique des musiciens, leur virtuosité sous contrôle, mise au service des chansons. Global Warning sonne le tocsin. Au-delà du thème qui parlera à chacun de nous, il y a dans ce final une sorte de côté « Pompéi avant le cataclysme », nos prêtresses ayant la charge d’annoncer, telles des oracles, la suite des événements, pas si drôle. C’est d’ailleurs en guise de présage funeste que Gloria arbore, dans l’un de ces clips, une rougeoyante pochette de Magma. Quant à la guitare, elle se tord comme un serpent sous le bâton du pèlerin et parvient à sonner comme les bouzoukis de l’enfer. 

Pour finir, saluons le travail visuel, merveilleux teaser à cette bacchanale droguée que nous appelions tous de nos vœux depuis si longtemps. Ce buste fier, entre Beethov’ et Bouddha, nous contemple de son regard de pierre, vide mais magnétique. Il nous appelle, nous enjoint – rapport à ce qu’il mâchonne entre ces lèvres soudées – à nous abandonner. Du bel ouvrage qui n’est pas sans rappeler, à sa manière, celui du groupe The Zoo (present Chocolate Moose) paru en 1968. Et si l’on en conclut que Sabbat Matters doit être un clin d’œil au Stabat Mater, on se dit que la boucle psyché est bouclée et que l’on peut prendre son abonnement direct à la secte Gloria. 

Gloria, Sabbat Matters (Howlin’ Banana Records-Le Pop Club)

sabbat-matters.jpg

https://howlinbananarecords.bandcamp.com/album/sabbat-matters

 

 

 

 

 


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