All the Falling Angels

par Adehoum Arbane  le 16.03.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

Au diable le club des 27 ! Il n’y a jamais eu de malédiction autour d’un âge qui aurait été une sorte de triangle des Bermudes temporel pour les pop stars. De façon plus prosaïque, même si c’est enfoncer les portes de la perception toutes grandes ouvertes, il convient de rappeler à quel point le cocktail succès rapide, drogues en abondance et une certaine fragilité propre à la jeunesse des carrières, fut fatal. Brian Jones aura sans doute été l’une des premières stars de la pop à tomber au chant d’honneur, après Brian Epstein peut-être, même si ce dernier naviguait dans l’ombre des Beatles et n’aurait donc pu prétendre faire partie de ce Club si tristement célèbre. Revenons à Brian Jones. C’est sans doute la personnalité la plus mystérieuse des Stones, le fondateur du groupe qui n’avait cependant pas l’étoffe d’un singer-songwriter. Il en demeure cependant l’âme tutélaire, celui qui connait et joue le mieux le blues. Les deux suivants, Keith Relf et Mark Loomis, lui ressemblent d’une certaine manière, au-delà des fameuses coupes au bol d’un blond étincelant. Tous les trois auront "quitté" leur groupe en raison de divergences, d’incompréhensions diverses que nous allons tenter de raconter. 

Brian Jones d’abord. Mort ophélienne, dans la plus pure tradition britannique. Le 3 juillet 1969, il est retrouvé noyé dans la piscine de sa superbe villa et dans des circonstances, hum hum, troubles. Une série de photos de l’époque le montre rincé : le prince élisabéthain a fait place à un punk bouffi, chemise taillée dans la soie du drapeau américain, bottes en caoutchouc de gentleman farmer esseulé. Il arrive encore à sourire, malgré le destin qu’il est en train d’écrire, inconsciemment. Brian Jones a commencé en autodidacte et comme beaucoup de ses contemporains, en écoutant des disques de blues. Fort de parents musiciens, certes amateurs, il s’essaie au piano, à la guitare, passe à l’harmonica mais ne s’arrête pas en si bon chemin. Il maîtrise très vite un large instrumentarium. Il joue alors dans des clubs de jazz et de blues locaux avant de s’installer à Londres et de rejoindre Alexis Korner que l’on surnomme alors The Father of British Blues. Il publie une petite annonce invitant les jeunes musiciens à auditionner pour son prochain groupe, les Rollin’ Stones. Parmi eux, Mick Jagger au chant. Ce dernier recommande Keith Richards que Jones connaissait pour avoir déjà jammer avec lui. Bill Wyman et Charlie Watts complètent le dispositif. Brian Jones fait tout, il joue bien sûr de la guitare mais négocie les contrats, concerts, salaires. Le groupe est signé chez Decca qui avait refusé les Beatles. Il enregistre ses premiers albums, tous constitués de reprises des classiques du blues américain. Le duo Jagger-Richards prend vite les commandes du songwriting et le succès ne tarde pas à venir. C’est Satisfaction qui ouvre le bal. Les années 65-69 sont un tir de feu nourri qui impose les Stones comme meilleur groupe de rock du monde, quand les Fabs sont les dieux de la pop. Et Brian Jones dans tout ça ? Son mode de vie bohème, une forme de désinvolture et sa trop grande consommation de drogues vont alors l’écarter de ses camarades. Qu’en est-il de son legs musical ? Considéré comme le premier multi-instrumentiste de l’Histoire, sa contribution est immense. Car s’il n’écrit pas, sa science des arrangements fait merveille. Que serait devenu Lady Jane sans son dulcimer ? Idem pour Under My Thumb et son marimba sans même parler de Paint In Black dont le sitar a forgé le son des futures formations Garage Psyché américaines. Pour le reste, il joue de l’accordéon sur Back Street Girl, transcende des chansons comme Heart Of Stone, 19th Nervous Breakdown, Get Off My Cloud, Miss Amanda Jones – impossible de toutes les citer – de ses soli savamment ciselés. Il jouera même du mellotron sur nombre des titres de Their Satanic Majesties Request, sans oublier Jigsaw Puzzle et Stray Cat Blues (Beggars Banquet). Rideau sur le formidable début de carrière de son groupe, ainsi placé en orbite pour sa période la plus mémorable, de 69 à 73. 

Keith Relf, ensuite. Un anglais aussi. Comme Jones, il a fait partie et même formé les mythiques Yardbirds qui furent, avec les Stones, les deux grandes formations blues de l’époque. Aux Yardbirds, on peut créditer l’invention du son psychédélique, cette manière si particulière de faire sonner les guitares, au moyen de la pédale Fuzz Tone. Comme le Velvet, une discographie ramassée, mais pas à la ramasse, et une influence considérable. À l’instar des Pierres Roulantes, les Oiseaux de la Cour ont débuté leur carrière en reprenant à leur compte les standards du Chicago Blues. Ils se démarquent par leur musicalité sombre et par le fait d’avoir couvé trois des plus grands Guitar Heroes anglais des sixties : Clapton, Beck et Page. Keith Relf en est le chanteur ce qui ne l’empêche pas de signer quelques titres en son nom ou de contribuer à ceux parmi les plus mémorables du groupe. Car à partir de leur deuxième album, For Your Love, sorti en le 5 juillet 1965, les Yardbirds s’émancipent provisoirement de leurs modèles afro-américains. Relf et McCarty écrivent le morceau titre dont l’arrangement de clavecin, cerné par les bongos, le fera entrer dans la légende – merci au bassiste Paul Samwell-Smith qui finira logiquement comme producteur de Renaissance, le groupe que Relf forme après avoir quitté les Yardbirds. En effet, l’arrivée de Page suscitera nombre de conflits qui amèneront Relf jusqu’à la porte de sortie. Jimmy Page aura fait des Yardbirds la matrice de son projet futur : Led Zeppelin. À la même époque, Relf signe une série de chansons incroyables dont Mr Zero, Shapes In My Mind, All The Falling Angels, Only The Black Rose et Together Now. Relf & McCarty lancent Renaissance avec l’épouse de Keith au chant, Louis Cennamo à la basse et John Hawken au piano. C’est d’ailleurs ce dernier instrument qui donne à leurs deux premiers disques leur charme suranné en ces temps de prog rock moderne assumé ! Il entame ensuite une carrière de producteur avant de se lancer dans son dernier projet de groupe, le prophétique Armageddon et son unique Lp, mélange intrépide entre hard et progressive rock. Il meurt électrocuté en branchant sa guitare dans le sous-sol de sa maison, le 12 mai 1976. 

Mark Loomis, enfin. Physiquement, c’est un mixe entre le regard dur de Paul Kantner, anglé par les lunettes, et la beauté ovale de Nico. Des trois musiciens cités, c’est celui qui meurt le dernier, le plus tard – le 26 septembre 2014 à Hawaï –, des suites de maladie. Due aux drogues ? Difficile à dire. Son groupe, le Chocolate Watch Band, dont il est le fondateur, apparait comme un clone évident des Stones et des Yardbirds, influences que leurs membres revendiquent d’ailleurs. La bande de San José se plait dans sa posture de punks arrogants. Anecdote amusante, le groupe est signé par le département soul du label Tower Records du fait du premier mot de leur patronyme, Chocolate. Malgré son potentiel et ses deux premiers albums mémorables, le groupe reste entaché par une légende tenace selon laquelle les musiciens originels ne joueraient pas sur certains des morceaux les plus psychés de No Way Out (1967) et de The Inner Mystique (1968). Mark Loomis a confirmé même si les événements remontent et que la drogue semble avoir partiellement effacé certains souvenirs de la vie en studio. À l’image d’un Brian Jones ouvert aux influences extérieures et d’un Relf baroque, Loomis se remémore parfaitement avoir trouvé un sitar chez un antiquaire situé à côté de leur studio à LA.  De même, il raconte comment il avait fabriqué sa propre Fuzzbox afin de se démarquer de ses pairs anglais. Sur leur premier long, le groupe arrive à placer des morceaux bien dans l’air du temps comme Gone and Passes By et son petit côté Mona orientalisant ou No Way Out et ses entrelacs san franciscains. Sur Misty Lane, Loomis assure même les parties de clavecin. Mais c’est l’omnipotence du producteur Ed Cobb qui poussera Loomis à quitter le navire. 

Ces trois étoiles, tout à la fois convergentes et divergentes, auront inspiré un autre groupe phare de la scène san franciscaine des années 90 : le Brian Jonestown Massacre. Déjà le nom ! Quant aux chansons, un titre comme It Girl nous renvoie aux Yardbirds de Still I'm Sad, Malela louche vers les Stones de Mother's Little Helper et Servo fait penser aux volutes ondoyantes de The Inner Mystique du Bracelet de Montre en Chocolat. Faisant fi des pronostics, les trois anges déchus évoqués ici, Anton Newcombe sera parvenu à sauter les obstacles de la drogue et du star-system pour perdurer, lui et son groupe, au gré des albums, des reformations et des réinventions. Certes, il n’est pas blond mais a bien eu du bol. Et pas que la coupe. 

https://www.deezer.com/us/playlist/8841680442

 

 

 

 

 


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