Alan Hull, monsieur entre-deux

par Adehoum Arbane  le 02.03.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

Ménager la chèvre et le chou. En le lisant, on constate à quel point ce célèbre proverbe relève de l’impasse. Dans tous les domaines, la chose se vérifie. Le dernier en date, au combien politique, n’échappe pas à la fatidique règle. Piocher un coup à droite, puis à gauche n’amène que déception, opposition et à la fin, rejet. En musique, la logique du consensus est la même, portant en elle les graines de la déconvenue. Rester dans sa zone de confort ou oser une sortie qui sera mal interprétée, parce qu’allant contre sa propre intégrité ? Et pourquoi ne pas se placer à égale distance des deux tendances ? Sans prise de risque apparente.

Alan Hull s’est ainsi défini dans l’une des chansons de son deuxième album. Mr. Inbetween, monsieur entre-deux. Sur son premier album paru sur Charisma, on sentait poindre l’hésitation : folk traditionnelle ou chanson de songwriter ? Il aura fallu un changement de label pour que Alan Hull ose le grand saut. En 1975, le voilà chez Warner. Il entame alors sa révolution stylistique et ce, malgré la fausse piste de la pochette et du titre. Soit notre musicien, entre l’écuyer (Squire) et le gentleman farmer, devant ce qui semble être un vieux château d’Écosse, le tout immortalisé dans un noir & blanc du plus bel mais triste effet. Et pourtant, les onze chansons n’ont rien d’une musique de troubadour, voire de gardien du temple. Elles lorgnent même vers le lustre des grands disques d’Elton John. Hull, semble-t-il, s’est toujours rêvé ainsi. Si l’on met de côté le très rock’n’roll Nuthin Shakin' qui fait limite tache, le reste relève du sans faute. Premier point à noter et que l’on entrevoyait déjà sur Pipedream, Squire ne se limite ni dans l’écriture ni dans la production. Il pousse juste les curseurs plus loin. Cela s’entend dès le début de l’album, avec le morceau éponyme. Légèrement laid-back dans la rythmique, il montre un Alan Hull étonnement cool, dans la maîtrise, loin de l’image un peu rigide de la pochette. Les claviers illuminent ces cinq premières minutes fondatrices. Dan The Plan donne l’impression d’un retour à la bonne vieille folk song d’antan mais il n’en est rien. Si nous avons déjà affirmé que Hull faisait ici son Lennon, nous n’avons pas suffisamment appuyé sur la qualité de ce nouveau matériel. Le refrain (et les refrains en général) sonne magnifiquement, plein de trémolos pop dans un morceau d’apparence rock’n’roll. Alan Hull ainsi libéré poursuit avec Picture A Little Girl, ballade habitée contrairement au Castel de pierres grises situé derrière lui ! La flûte, chatoyante et innocente, confère à cette courte composition des allures de berceuse. Passé le passable Nuthin Shakin', One More Bottle Of Wine conclut royalement cette première face. On ne peut s’empêcher de penser à Memories of You de Avi Buffalo dont le morceau de Hull emprunte une ligne mélodique apparente. Avigdor Zahner-Isenberg a-t-il écouté ce disque ? On ne saura jamais et peu importe au fond. 

On embraye sur la face B, qui ne déçoit aucunement. Le riff de Golden Oldies est un coup de griffe solaire et laisse entrevoir la suite, soit une touchante chanson sur les années de jeunesse de Alan Hull teintées de joie simple et de nostalgie. I'm Sorry Squire est une délicate pause instrumentale dirigée par le maître en personne. Il enchaîne sur un impérial Waiting joué au piano et chanté d’une voix presque hésitante. Sur Le refrain déchirant, Hull se brise presque la voix. Bad Side Of Town est sans doute le morceau le plus orchestré, parfois trop, mais il s’en dégage une beauté honnête, comme si notre singer-songwriter avait décidé de se faire plaisir. Mr. Inbetween referme presque ce disque car c’est en fait le très court – quarante et une secondes – et fort justement nommé The End qui s’en charge. Mr. Inbetween a tout du single et il est dommage de se dire que ce dernier ne remplit pas son office. C’est le félin Crazy Woman, qu’on ne retrouve pas sur l’album, qui officie à la place. Dan The Pan, One More Bottle Of Wine et Golden Oldies sont choisis par Warner comme singles. Voilà ce que nous pouvons dire de Squire. Mais encore ? 

Pour autant, force est de constater que Hull n’assume pas totalement ce changement. Pour s’en convaincre, il faut se pencher sur les crédits. Il n’était jamais mentionné comme chanteur, apparaissant sous des pseudonymes mystérieux, potache, voire idiot (Big Jim, PC 49, Daddy, Elvis Presspants, Albert Youbool, Captain Benwell, Mad Arnie Blankenstorm, Steppenwolf et Mr Inbetween) comme si tout ceci n’était que pochade anglaise sans intérêt. Et sur l’unique instrumental qu’il arrange, excusez du peu, il apparait sous le pseudonyme de Sir Adrian Bignose. Quarante-cinq avant la pandémie, voilà que Alan Hull se présente masqué. On le comprendrait presque. L’album ne marche pas. Il n’est pressé qu’en Angleterre et n’aura jamais connu de réédition durant les années 70. Hull reviendra quatre ans après avec le bien nommé Phantoms sur un nouveau label. S’en suivra une carrière en pointillé faite d’entre-deux qualitatifs dont le touchant On The Other Side. Une profession de foi ? Avant de mourir, le 17 novembre 1995, d’une attaque cardiaque. 

Alan Hull, The Squire (Warner)

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https://www.deezer.com/us/album/344605

 

 

 

 


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