L’incroyable Hull

par Adehoum Arbane  le 23.02.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

New York n’est plus la ville qu’elle était et ce depuis le départ de son célèbre maire Rudy Giuliani. Avant d’être minée par la violence endémique, la Grosse Pomme était connue, voire reconnue, pour son esprit bohème incarné par Woody Allen et bien d’autres cinéastes, mais aussi, et sur le plan musical, par le Velvet d’un côté et Dylan de l’autre. Ça c’est pour le résumé, car Dylan est l’arbre gigantesque qui cache la forêt de folk singers écumant ce petit bloc que constituent Bleecker & MacDougall. Ce dernier donna d’ailleurs son nom à une chanson et un album de Fred Neil. Depuis, Bleecker Street est devenu le temple du Cupcake et de la culture bobo. Triste fin en vérité. À la fin des années soixante, l’épicentre de la culture folk n’était plus le West Village mais Londres. Des formations mythiques en rénovent le langage, le mêlant au nouveau rock. Fairport Convention, les Strawbs, Pentangle, pour ne citer qu’elles, fourbissent déjà leurs talents. Une deuxième génération arrive qui va de Nick Drake à Fotheringay en passant par Ian Matthews, Steeleye Span, Jan Dukes de Grey, Spirogyra voire High Tide (les dernières minutes de The Joke sur son deuxième album). Et Lindisfarne. 

Lindisfarne a gravé une poignée d’albums durant les seventies – et quelques autres après – mais reste emblématique d’une certaine conception britannique de la folk. En attestent leurs deux premiers albums Nicely Out Of Tune et Fog On The Tyne. Le groupe a par ailleurs la particularité de proposer deux plumes, Rod Clements et Alan Hull, Robert Noakes ne livrant qu’un seul titre sur le premier long mais quelle chanson, puisqu’il s’agit du très beau Turn A Deaf Ear. Ce dernier sort la même année son premier disque en solo, le joli et tendre Do You See The Lights. Mais c’est Alan Hull qui nous intéresse ici. Alors que Lindisfarne livre ses dernières cartouches, du moins les meilleures, Alan Hull en profite pour enregistrer Pipedream, recueil de douze chansons où l’on reconnait immédiatement et son style et son timbre. Malgré une pochette étrange et décourageante, ce premier essai alone marquera l’auditeur le plus curieux. C’est que Hull s’avère un songwriter plus que consistant. Les mélodies sont là et c’est heureux. Mais ce n’est pas tout. Alan Hull ne se contente pas de dérouler son bréviaire folk, il le pimente avec le rock et la pop en vigueur, jusqu’à chanter – presque – comme Roger Hodgson sur la très touchante chanson finale, I Hate To See You Cry. Et entre Breakfast et I Hate To See You Cry ?

Breakfast, tenez ! La chanson aurait pu conclure Nicely Out Of Tune. Elle ouvre dignement l’album. Dignement certes mais avant tout délicatement. Le refrain plus rock sort cette entame de la profonde mélancolie dans laquelle elle s’ébroue. Just Another Sad Song redonne un coup de fouet à ces débuts troublants. Étonnant de constater à quel point la voix d’Alan Hull sonne parfois, quand elle est trafiquée, comme celle de Lennon. S’en suit une trilogie d’une jolie sensibilité. Money Game et son « Oh Anna ! » restera fort habilement dans les mémoires. Idem pour STD 0632, instrumental qui fait immédiatement songer au Neil Young de Harvest. United States Of Mind démarre dans la dentelle, la voix de Alan Hull transformant cette simple mélodie en chose tout à fait sublime. La diversité des instruments et la production viennent patiner cette chanson typiquement anglaise. Country Gentleman's Wife vient refermer cette première face sur une intention toute dylanienne. Face B, Numbers (Travelling Band) reprend des accents électriques, cette forme de folk ne s’en étant jamais privé. For The Bairns nous leurre bien avec ses notes de piano impérial pour déboucher sur un morceau quasi bastringue, autre tradition britannique. Et là, Hull se la joue incroyable ! Drug Song et sa guitare électrique soyeuse, presque jazz qui envoie ce morceau dans les régions stellaires. Song For A Windmill retombe les pieds sur terre telle une chanson de champ de bataille, mais avant l’offensive. Blue Murder est l’autre grand moment de cette face B qui débuterait presque comme Out On The Weekend (la batterie) mais ces cinq longues minutes augurent ce que fera Hull par la suite et notamment sur Squire. Le morceau se termine, avec élégance, par un solo de Rhodes comme si nous étions chez les Canterburiens ou chez les Doors de Riders On The Storm, et c’est splendide. I Hate To See You Cry est un grand final de songwriter, au piano, avec des accents quasi Elton Johniens, voire Supertrampesques. 

Remueur de terreau folk, Alan Hull n’en a pas oublié la délicatesse et la richesse qui furent le crédo de cette scène. Comme suggéré plus haut, ce dernier conservera toujours une extrême musicalité, variant les instruments pour mieux aborder toute la palette des émotions comme seule la pop, la grande, sait le faire. En atteste son second disque en 75, Squire. Pipedream ? Ce n’était pas une chimère, nom d’une pipe ! 

Alan Hull, Pipedream (Charisma)

alan-hull-pipedream.jpg

https://www.youtube.com/playlist?list=PLB1B83CF516BC6C66

 

 

 

 

 


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