Besnard Lakes, retour de flamme ?

par Adehoum Arbane  le 16.02.2021  dans la catégorie A new disque in town

C’est peu dire que la manière d’écouter de la musique a changé. Avec l’avènement du mp3 et des baladeurs, celle-ci s’est parée du détestable concept de mobilité, bien dans l’air du temps. Il fut un temps où elle s’écoutait dans une chambre, seul ou avec quelques compagnons d’aventure. Mais dans cette évocation, il manque quelque chose, un ingrédient essentiel à la mise en condition propre aux œuvres pop en trente-trois-tours. La drogue. Cette dernière n’a pas disparu des habitudes culturelles mais sa consommation a, elle aussi, suivi un autre chemin. Et s’est parée également du ridicule adjectif de récréative. Jadis donc, on écoutait un album en consommant de la drogue, de la marijuana souvent, du LSD parfois. Elle était un médicament au sens propre – elle détendait l’auditeur – et devenait ensuite un merveilleux guide. Avec elle, on ouvrait des portes insoupçonnées, on repoussait toutes les limites, et la musique pop prenait alors une dimension autre. 

Le sixième album des Besnard Lakes que l’on n’attendait plus, aurait besoin, temporairement certes, d’une drogue médicinale. Afin d’aider l’auditeur à s’y abandonner, à plonger littéralement dedans. Fort d’une heure et de douze ultimes minutes, The Besnard Lakes Are The Last of the Great Thunderstorm Warnings porte finalement très mal son nom. Ce n’est pas vraiment la tempête annoncée. Disons plutôt une Quiet Storm bien dans la tradition du psychédélisme américain. La qualité du disque tient à son fragile équilibre. Et au fait que les morceaux s’enchaînent dans un flux qui pourrait continuer sans fin si les musiciens n’avaient pas décidé de tout débrancher, d’éteindre et de boucler les portes du studio. La bonne idée du couple Lacek-Goreas – qui contrôle toutes les étapes de la création du disque – est de ponctuer sur la première face leurs dérives psyché de points d’ancrage pop. Dans le détail cela donne ça : The Besnard Lakes Are The Last of the Great Thunderstorm Warnings s’ouvre sur le mystérieux Blackstrap dont les claviers rappellent l’introduction de Cirkus sur Lizard (1970) de King Crimson. La guitare de Jace Lasek nous ramène très vite en terrain connu. Sans rompre le fil ténu de l’intérêt qu’ils viennent de faire naître, les musiciens poursuivent leur trip avec le très beau Raindrops, parait-il un hommage à Mark Hollis récemment décédé. Peu nous importe tant le titre renoue avec la magie harmonique et vocale qui avait fait la marque des Besnard Lakes. Sans hiatus, Christmas Can Wait ralentit le tempo, la voix mixée de Jace, presque robotisée, donne le ton et surtout le tempo des huit minutes qui vont lentement se dérouler. Les Besnard Lakes ont toujours été friands d’expérimentation et c’est tout naturellement qu’ils explorent ici des régions plus synthétiques.  Progressivement – et sans mauvais jeu de mots – on retrouve certaines inflexions typiques du Space Rock allemand tel que Tangerine Dream le pratiquait naguère. Christmas Can Wait mais ici, Noël attendra. Il attendra que nos musiciens retrouvent le sol ferme après ce voyage futuriste, lymphatique mais très beau. Fin de la face A, le disque allant jusqu’à la D. 

Afin de rassurer les acquéreurs, peu habitués à ce genre de rock, et donc égarés, le groupe propose Our Heads, Our Hearts on Fire Again. C’est un morceau typique des Besnard Lakes où les guitares tranchantes s’amourachent des mélodies évidentes. Petite digression afin de rappeler que le groupe est le seul à pratiquer cet art si difficile. Surtout dans ses références les plus lointaines comme les Beach Boys. Dans la foulée de cette chanson, sans doute la meilleure de l’album, le groupe récidive mélodiquement avec Feuds With Guns, plus nimbé peut-être, moins californien en tout cas. On y entend cependant quelques violons au milieu des synthés d’où cette coloration si particulière et dont les ondes raffolent. La face C est sans doute, comme sur tous les albums d’antan, ce moment où les musiciens, ayant captivé les esprits, partent dans un ailleurs d’expérimentations diverses. À ce moment de l’album, on ne sait si l’on navigue au paradis où dans les tréfonds du royaume d’Hadès. Impression renforcée par la peinture de la pochette. Ce purgatoire vinylique s’avère malgré tout d’une écoute fort agréable – la drogue, encore une fois indispensable pour suivre et comprendre un tel disque. The Dark Side of Paradise débute sur une partie chantée, nous ne sommes donc pas totalement largués. On croirait presque écouter Mazzy Star sauf qu’ici, les instruments sont davantage noyés, façon Phil Spector. La fin du titre est une divagation Blade Runnerienne avec une ultime touche organique apportée par la guitare en fil d’Ariane. New Revolution nous sort momentanément de notre torpeur, c’est là la science des Besnard Lakes. On sent bien l’envie des musiciens de retrouver à nouveau les rivages mélodiques. The Father of Time Wakes Up est une fois de plus l’occasion de quitter la route rassurante du songwriting. La voix fragile de Jace, alors qu’il s’agit d’un géant, déplie le brouillard de notre esprit comme un rideau de théâtre. On se croirait presque dans un disque de Robert Wyatt. Mais la guitare réapparait, qui remet le groupe sur les rails. Direction le grand final de Last of the Great Thunderstorm Warnings, long de dix-sept minutes, timing quelque peu trompeur puisque le morceau s’arrête au bout de sept minutes pour finir en une boucle de feedback au synthé achevant de nous dissoudre dans ce beau rêve acide. 

Enfin, il est utile de préciser que ce double album, donc, se divise en quatre parties, quatre thématiques : Near Death (A1, A2, A3), Death (B1, B2, B3), After Death (C1, C2, C3) et Life (D1). Façon de prouver que la transe psychédélique n’est pas qu’une impression charnelle mais possède son versant spirituelle, formant ainsi un tout conceptuel. Résultat à la hauteur de nos espérances et qui méritait sans doute de la patience. Car il s’est passé sept longues années entre cet album et son prédécesseur. Une éternité dans le rock des années 2020. Tout va vite aujourd’hui, on passe d’une tendance à l’autre ; ainsi va le progressisme fou. Pire que la mort, évoquée dans Last of the Great Thunderstorm Warnings, il y avait l’absence. Celle qui vous menace de sortir des radars et de vous effacer peu à peu. Les Besnard Lakes ont bien failli devenir les Dupont de Ligonnès du rock. Il aurait été dommage de les perdre en chemin, fut-il une longue et passionnante autoroute de la drogue mise en musique.

The Besnard Lakes are The Last of the Great Thunderstorm Warnings (Full Time Hobby)

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