The Saxophone Songs

par Adehoum Arbane  le 01.12.2020  dans la catégorie Des hauts débats

Le saxo couinait, couinait et couinait, il couinait d’autant plus que le musicien se penchait sur lui. Le sax, cet instrument impérial, n’était pas que le prolongement du corps du jazzman, son double cuivré. Il était bien plus en vérité. Un instrument rock et pop. The Saxophone Song de Kate Bush nous le rappelle le 17 février 1978 bien que la chanson ait existé sous la forme d’une démo enregistrée par David Gilmour en juin 1975. À cette époque, c’est-à-dire au plus fort des seventies, le sax fait habilement le lien entre jazz et rock et c’est en Grande-Bretagne qu’il donne la pleine mesure de ses capacités. Du Keith Tippett Group à King Crimson en passant par Soft Machine et Caravan, il est partout. On préférera l’entrevoir ailleurs, chez les rockeurs et pas seulement les grands frères des fifties. 

Si l’on considère le Rock dans son acceptation la plus globale, l’instrument roi demeure indubitablement la guitare électrique. On ne compte plus les Guitar Heros qui gravèrent leur nom dans le marbre de l’Histoire. C’était au mitant des années 60. Le rock’n’roll de la décennie précédente est, lui, beaucoup moins catégorique. Certes, la guitare est déjà consacrée mais les musiciens virtuoses excellent aussi au piano. Moins en vue, le saxophone joue déjà des anches pour se faire une place. On le retrouve très logiquement dans les orchestres de rock. Mais d’abord c’est le jazzman Glenn Miller qui va créer un précédent. Avec In The Mood, ce dernier lance la mode du swing à travers des singles résolument "pop" sur lesquels le monde entier danse. Le premier vrai groupe de rock’n’roll – à taille humaine – à populariser l’instrument fut Bill Haley and His Comets avec les hits, Rock around the Clock et Shake, Rattle and Roll. 

Les sixties démarrent et vont rebattre les cartes. Beatles et Stones apparaissent comme les enfants terribles de cette pop music qui éclate alors su les ondes. Aux États-Unis, les groupes paraissent moins figés. Autour de la désormais traditionnelle formule guitare, basse, batterie et chant, d’autres instruments font leur entrée dont le saxophone. À l’image des Mar-Keys. Mais ces derniers font figure d’exception. Il s’agit d’abord d’un groupe de soul, signé par Stax Records. Qui plus est, il propose dans son line-up un saxophoniste ET un trompettiste. Leur célèbre tube, Last Night, offre cependant un bel exemple de rock cuivré. C’est un timide début mais un début quand même. Un premier cas d’école nous vient à l’esprit : celui des groupes ayant fait du saxophone l’axe central de leur instrumentarium et une signature sonore. Déjà, on peut citer les Sonics. Ils font la jonction entre l’esprit dansant du rock’n’roll et les riffs crasseux et méchants du rock garage. The Witch, Strychnine et Have Love Will Travel, en plus d’être des tubes absolus, ont été fondateurs d’une esthétique violente, urbaine et rageuse. Les McCoys semblent plus acceptables pour la jeunesse américaine et leur classique, Hang On Sloopy, ne vient pas démentir ce positionnement. Au-delà de tout jugement, le groupe assume un saxophoniste dans ses rangs en la personne de Sean Michael. La deuxième moitié des sixties impose la mode des Brass Bands comme Blood, Sweat & Tears où le saxophone s’intègre dans un ensemble sonore sans le laisser courir devant. The Band demeure pour de multiples raisons un groupe à contre-courant. Pas vraiment hype, sans leader charismatique, il réunit cependant des musiciens exceptionnels, capables de s’échanger leurs instruments, chose assez rare dans l’univers très codifié du rock. C’est l’organiste Garth Hudson qui officie au saxophone sur Across The Great Divide. Parmi les groupes à l’instrument signature, Supertramp peut s’enorgueillir de proposer le piano Wurlitzer et le saxophone donc, qui donnera au morceau Logical Song un chorus mémorable. En Grande-Bretagne, Traffic innove dès 67 avec Dave Mason qui passe de la flûte au sax pour notre plus grand bonheur, notamment sur Heaven Is In Your Mind qui ouvre leur chef-d’œuvre, Mr Fantasy. Idem avec Family qui termine son premier album, Music In A Doll’s House, sorti en 68, par le très beau 3 X Time. Exemple à part, Gerry Rafferty inaugure avec son succès Baker Street une longue et fructueuse collaboration avec le saxophoniste gallois Raphael Ravenscroft. En France, Les Go-Go Pigalles perpétuent la tradition du revival fifties en pleine période punk, leur hit, Jungle Jive, faisant la part belle à Ray Deauville, souffleur de son état ! Enfin, citons les punks de X-Ray Spex et leur saxophoniste, Lora Logic, et le groupe Morphine et Dana Colley qui jouait tout à la fois du Tenor et du Baryton, voire d’un double sax ! 

Deuxième cas que l’on pourrait appeler les confidentiels. C’est-à-dire des artistes ou musiciens moins connus pour leur talent de saxophoniste. Le plus célèbre est sans doute David Bowie qui arbore le mythique instrument sur la pochette du pressage italien du 45t de Rebel Rebel. Même s’il apprend à en jouer dès l’âge de 13 ans, il ne souffle qu’avec parcimonie comme sur Neuköln, extrait de Heroes. Autre exemple, John Fogerty, leader et guitariste de Creedence Clearwater Revival qui joue du sax sur Travelin' Band et Long As I Can See The Light. PJ Harvey est également connue pour ses talents de saxophoniste. Dans cette catégorie surprise, ajoutons un itinéraire bis : les soli de fin de morceau. Parmi les plus célèbres, Can't You Hear Me Knocking des Stones sur Sticky Fingers (Bobby Keys), Walk On The Wild Side de Lou Reed sur Transformer (Ronnie Ross), Revelation de Love (Tjay Cantrelli), Money de Pink Floyd sur Dark Side Of The Moon (Dick Parry). Le même Dick Parry qui joue sur Us et Them et sur Shine On You Crazy Diamond. 

Autre catégorie un peu fourre-tout, les groupes et artistes qui ont, à un moment donné et sans le laisser présager – du fait de leur famille musicale –, fait appel à un saxophoniste. Ainsi, les Doors se la jouent-ils pop & cuivre avec Tell All The People et Touch Me, qui ouvrent leur album le moins aimé, The Soft Parade. Nick Drake, quant à lui, fait appel à Ray Warleigh dont l’alto illumine les chansons At The Chime Of A City Clock et Poor Boy. 1970. Les Stooges s’offrent les services de Steve MacKey sur le morceau titre, Fun House, et livre un morceau-titre d’anthologie. En 1975, Clarence Clemons joue du tenor sur Born To Run de Springsteen. Même les Beatles s’y mettent avec Lady Madonna qui voit Harry Klein dégainer son baryton pour l’occasion ! 

On aurait pu citer les rockeurs usant du saxophone pour approcher le jazz, voire se l’approprier – Zappa et Ian Underwood avec Peaches En Regalia. Plus intéressants sont les saxophonistes jazz à avoir répondu à l’invitation de musiciens pop. Dans le désordre, notons les Stones, encore eux, qui convient le grand Sonny Rollins sur Waiting On A Friend (Tattoo You), David Sanborn jouant avec Bowie sur Youngs Americans, mais aussi avec Paul Butterfield, les Eagles ou James Taylor. Saluons aussi le méconnu Pete Christlieb soufflant sur Deacon Blues de Steely Dan (Aja) ou la collaboration fructueuse entre Brandford Marsalis et Sting. De même que Kenny Gorelick, aka Kenny G, ambassadeur du Smooth jazz et qui souffla fort logiquement pour Barry White, Whitney Houston, Nathalie Cole et Aretha Franklin. En France, Melmoth aka Dashiell Hedayat choisit en 1969 Richard Raux, ce dernier transfigurant Vous Direz Que Je Suis Tombé, tiré de la Devanture des Ivresses. 

Impossible de clore cet inventaire à la Prévert sans faire une mention spéciale aux années 80. Durant cette période, bénie pour les uns, honnie par les autres, le saxophone est prince et le synthé empereur. On retrouve ainsi le fameux cuivre chez Sade avec Smooth Operator, Men At Work avec leurs deux tubes Who Can It Be Now ? et Overkill et bien évidemment Madness, de One Step Beyond à One Better Day en passant par My Girl, Baggy Trousers, Embarrassment, Driving In My Car, House Of Fun, (My Name Is) Michael Caine etc. Bien souvent, il est l’instrument idéal pour les slows si généreux en épanchements sentimentaux. Prenez Your Latest Trick de Dire Straits qui débute paradoxalement sur un thème joué à la trompette pour exploser en un motif félin de sax ! Maître incontesté des ballades sirupeuses, l’attachant Phil Collins nous brise le cœur avec son One More Night qui s’achève – et nous avec – par un chorus de sax typique de l’époque, ici interprété par Don Myrick (piqué à la section cuivre de Earth, Wind & Fire). N’oublions pas la star des charts US Huey Lewis & The News et son I Want A New Drug (le saxophone ?) et INXS et son très sexy What Need qui semble répondre à la chanson citée juste devant : on parle de drogue ou de l’instrument ? Mystère ! 

Il n’est pas honteux de dire à quel point le saxophone rock semble passé de mode. Rare sont les groupes à l’utiliser, surtout de manière systématique. Les Zutons nous reviennent en mémoire. Ils se sentent bien seuls en ce début de nouveau millénaire. Ainsi, aurions-nous inexorablement glissé de Saxophone Song à Saxophone songe ? 

https://www.deezer.com/fr/playlist/8424679882

 

 

 

 

 

 


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