Proggy & poppy, Oui !

par Adehoum Arbane  le 22.12.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

La tentation de l’amalgame. Dans tous les domaines, de la pensée à la création, cette dernière sévit. Ainsi en est-il du Rock Progressif. Ces détracteurs n’aiment rien tant que mettre tous les groupes dans le même panier avec ce qu’il faut de mépris et de suffisance pour installer dans les esprits le poison d’une idée reçue. Celle d’une musique pompière, ampoulée, prétentieuse. Alors qu’il n’en est rien. S’il n’y avait ces longs développements instrumentaux, ces ruptures de rythme hardies, cette manière de faire progresser un morceau donc, le prog rock ne serait qu’un gigantesque puzzle de mélodies mémorables. Historiquement, il est déjà le prolongement naturel du psychédélisme qui fut lui-même enfant de la pop beatlesienne. 

Il est un exemple, un groupe phare du mouvement dit Progressif, gros vendeur de disques devant l’Éternel, dinosaure détesté pour les uns, formation vénérée pour les autres : Yes. Trois lettres, un nom en forme d’universelle adhésion et autant de périodes, de musiciens talentueux et d’albums – simples, doubles voire triples – gravés. Si Yes devait se distinguer de ses prestigieux concurrents – Genesis comptent parmi les importants, King Crimson parmi les plus virulents –, nous dirions ceci, un peu par provocation. Même si la chose est fondamentalement exacte. Yes, c’est les Beach Boys du Prog. Et ce pour deux raisons. Le sens de la mélodie d’abord. Et la capacité à harmoniser vocalement. Deux fondamentaux pop. Ils se retrouvent dès leurs débuts et à travers quatre de leurs treize albums. Cela tombe, il s’agit de leurs meilleurs enregistrements. Yes et Time And A Word contiennent les prémices de leur musique, cristalline et limpide comme le montrent déjà Survival, Sweat Dreams et le bien nommé Clear Days. 

En 1971, tout bascule pour Yes. Mais dans la continuité. Si Tony Kaye est encore aux claviers, l’ingénieur Eddy Offord fait son entrée sur The Yes Album. Le son s’en ressent. L’attaque rythmique fait mieux que conserver sa force de frappe, celle-ci se retrouve transcendée comme en témoigne le début de Yours Is No Disgrace. La voix de Jon Anderson mêlée à celles de Chris Squire et de Steve Howe fait penser à CS&N pour cette alliance pure et parfaite. Ce trio vocal convient aux morceaux plus épiquement rock mais trouve aussi une juste expression sur les titres plus paisibles comme l’entame de Starship Trooper. Même traitement sur I've Seen All Good People. A Venture s’annonce McCartneyien avec la profondeur et l’innocence vocale des Garçons de la Plage. Fragile, qui porte si bien son nom, monte un cran au-dessus. Malgré son lent démarrage folk et une suite très enlevée, Roundabout donne la pleine mesure aux architectures vocales qui seront à l’avenir la signature de Yes. We Have Heaven montre une formation maîtrisant les chœurs quand Long Distance Runaround retrouve des accents sixties malgré ses habits seventies. C’est Heart Of The Sunrise qui pose les bases du style Yes. Jamais une musique n’avait si bien été résumée dans une image, celle d’un lac imperturbable, niché entre deux montagnes. 

Close To The Edge. L’album et le morceau représentent un must absolu dans la carrière du groupe. Abstraction faite du long développement instrumental qui l’introduit, Close to the Edge pourrait tout à fait être réduit à son couplet et son refrain, moment précis où Jon Anderson use de son timbre si particulier pour le meilleur, servi par les chœurs grand luxe de Squire et Howe. A chaque instant du morceau, le chant fait des merveilles. Jusqu’au dénouement, soit la reprise du refrain comme entonné, poumons gonflés, dans une cathédrale imaginaire ! Tales of Topographic Oceans aurait pu être l’album de trop. Pensez, deux galettes, quatre morceaux, quatre faces au total ! Des durées titanesques, des idées à la seconde, parfois déroutantes – pour ne pas dire usantes – et pourtant ! Pourtant, il y a de si belles choses dans cette heure complétée de vingt-deux minutes. The Revealing Science of God (Dance of the Dawn) révèle, c’est le cas de le dire, la fibre Beach Boys de nos musiciens. Si l’on exclut le vernis pseudo mystique des textes, on ne peut que succomber face à tant de beautés. De The Remembering (High the Memory), il faudrait exclure les douze premières minutes, la suite se montrant sur un jour himalayesque du strict point de vue de la pureté. S’agissant de The Ancient (Giants Under the Sun), c’est la section du milieu qui vous donnera le grand frisson vocal. Le paroxysme tout en délicatesse de ce double Lp se trouve en face D – hé oui il faut être patient, le mériter – avec le thème d’ouverture, repris sous forme de grand final mirifique, de Nous Sommes du Soleil, unique segment de Ritual. Tout est sublime dans les parties chantées et le groupe aurait largement pu sortir une version expurgée en single. Imaginez alors le choc. On aurait pu réaliser un Single Edit – chose faite ! – afin d’en savourer, même de manière imparfaite, toute la splendeur. C’est sans doute ce que Yes a fait de plus beau, de plus abouti dans cet art de l’harmonie perpétuelle. Et malgré la naïveté de cette incantation solaire, on ne peut qu’adhérer. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de songer au titre The Beaks Of Eagles sorti par les Beach Boys en 1973 sur Holland. 

Comme quoi, seul le candide qui n’a jamais donné d’importance aux on-dit saura goûter à la tremblante et fragile clarté qui traverse les meilleures chansons et moments de la discographie de Yes. Il pourra sans doute poursuivre la curieuse aventure et l’heureuse découverte en tournant les pages de la Genèse et bien d’autres formations, en vue ou non, pour qui être pop n’était pas une posture. Mais un sacerdoce. 

Yes – The Yes Album – Fragile – Close to the Edge – Tales of Topographic Oceans (Atlantic)

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