Love & change

par Adehoum Arbane  le 08.12.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

Dans son panthéon cinématographique personnel, Jean-Pierre Dionnet cite, entre autres, Mad Max, La course à la mort de l’an 2000 et Vanishing Point. Et d’ajouter : « Les compétitions de hot rods (…) sont aux sources de la mythologie américaine. Le message est simple : même après l’apocalypse, la course continue. » L’apocalyspe c’est l’explosion en plein vol de la formation d’Arthur Lee, Love, telle un bolide de l’enfer dans un chaos de pistons et un brouillard d’essence enflammé. Tout avait pourtant bien commencé. Premier groupe interracial. Patronyme universel à la limpidité publicitaire. Situation géographique idéale, au cœur de Laurel Canyon. Signature sur un label de folk prometteur, Elektra Records. Continuum temporel enfin, soit la deuxième génération de groupes après les Byrds. 

Love avait la carte, comme on dit. Le groupe démarre même avec un premier hit imparable et une prestation télé mémorable. Une reprise de Burt Bacharach, My Little Red Book, qu’il joue « live » sur le plateau de American bandstand. Un premier album est vite mis en boîte. On connait la suite, c’est-à-dire la légende. Love recommande les Doors à Elektra. On sait rarement pourquoi. MCA fait alors un pont d’or pour signer Love mais Elektra ne veut rien lâcher. Qu’à cela ne tienne, Arthur Lee souffle à Jac Holzman l’idée d’aller voir les Doors au Whisky a Go Go, comme ça. Avec une idée en tête : les Doors remplaceront naturellement les Love. Première prestation avec un Jim en pitre alcoolisé. Holzman les boude. Il retourne les voir. Il flashe sur un groupe plus soudé et un Morrison en pleine forme. Elektra signe les Doors mais garde Love. Le groupe se remet au boulot et sort un second disque plus produit, Da Capo. 1967, le summer of love. Monterey est passé par là. Il est de temps de passer à la vitesse supérieure. Love suit le conseil du manager des Byrds : « Faites un disque que vous aimerez dans quarante ans ». Ainsi est né Forever Changes. Malgré ses qualités évidentes, c’est un album maudit. Une bagnole lancée à pleine vitesse alors que les freins de la drogue ont lâché. Malgré le climat délétère dans lequel les musiciens surnagent, là-haut, au Castle (la maison de Bela Lugosi), les sessions d’enregistrement débutent le 9 juin et s’étirent jusqu’au 25 septembre dans un mauvais rêve de LSD et d’héroïne. Il faut dire que les chansons sont au rendez-vous, de Alone Again Or signé Bryan MacLean à You Set The Scene. C’est un mixe parfait entre ballades acoustiques, bien dans l’esprit du Canyon, et morceaux de bravoure électriques (A House Is Not A Motel). Derrière le tableau parfait qu’offre aujourd’hui le disque, se noue un drame. Peu préparés à transposer sur bande les idées ambitieuses de Lee, les musiciens se disputent et quittent le studio. L’ingénieur maison Bruce Botnick est appelé à la rescousse. Il engage aussitôt une partie du Wrecking Crew soit Hale Blaine, Carol Kaye, Don Randi. C’est un électrochoc. Le groupe revient et enregistre les neuf autres chansons. L’arrangeur David Angel – ça ne s’invente pas – fait son entrée. Lee répète les chansons avec lui trois semaines durant pour le résultat élégiaque que l’on sait. 

Forever Changes fait un flop. Alors qu’il s’agit de l’un des tous meilleurs enregistrements du LA de l’époque. Trois singles au moins aussi bons sont gravés dans la foulée : Wonder People (I Do Wonder), Your Mind and We Belongs Together et Laughing Stock mais il est déjà trop tard. Le groupe se sépare. Forever Changes, cet Odessey & Oracle californien. Mais sans le succès posthume. C’en est fini de la formation historique des Love. À mi-parcours de l’année 68, alors qu’arrive une nouvelle génération de groupes (Spirit), Arthur Lee appelle ses vieux copains Jay Donnellan (futur Morning), Frank Fayad et George Suranovich, nouvelle mouture de Love, et s’attèle à enregistrer un dernier disque pour Elektra. Four Sail – quatre voiles – qui sort l’année d’après, est censé porter Love vers de nouveaux horizons. La course continue, n’est-ce pas ? Pas vraiment. Ce quatrième effort, plus électrique, comporte son lot de compositions incroyables, marque de fabrique de Lee. August qui ouvre la première face, le démontre malgré sa propension à explorer un psychédélisme étonnement san franciscain. Arthur Lee chante toujours aussi bien même si son timbre porte les stigmates des excès passés, et des échecs. On y trouve aussi des joyaux pop d’une clarté toute laurelienne : I'm With You, Dream, Nothing et le bouleversant Always See Your Face qui referme et le disque et la page Elektra Records. On n’oubliera pas de sitôt cet ultime témoignage porté le fringant Singing cowboy et le Neil Youngien Robert Montgomery. 

Un autre film résume bien notre propos en général et la carrière de Love en particulier. Model Shop de Jacques Demy, sorti en 1969. On y suit l’errance d’un jeune homme sur deux jours au volant de sa voiture de sport dont il doit régler la dernière traite, sous peine de la voir saisie. Il traverse un Los Angeles mythique, rencontrant au hasard de sa lente course une jeune femme superbe, Anouk Aimée, dont il s’amourache. D’ailleurs, tout se passe dans cette voiture, véhicule symbolique de son destin précaire jusqu’à cette scène où Anouk Aimée et lui discutent à l’arrêt, chacun dans son cabriolet. A la fin du film, il perd tout : sa petite amie, sa maîtresse française et sa voiture. Ironie du sort, la musique est signée Spirit qui fait partie du casting. Pour Jay Ferguson, leader et acteur d’un jour, point d’apocalypse mais un démarrage confortable et un avenir assuré. Love est déjà loin derrière. Pas tout à fait à l’arrêt mais bien sur le bas-côté. 

Love, Forever Changes – Four Sail (Elektra)

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