Souviens-toi, Barbara…

par Adehoum Arbane  le 15.09.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

On oublie souvent de le dire : ce qui fit la magie de Hatfield & The North et de son avatar heureux, National Health – super groupes de Canterbury –, ne tient pas tant au fameux son d’orgue fuzz, généré ici par Dave Stewart. Ni à la virtuosité sinueuse et délicate de la guitare de Phil Miller. Ou à l’agilité fracassante du batteur Pip Pyle, l’autre percussionniste de génie à ranger à côté de Robert Wyatt. Ou à la folle inventivité d’un John Greaves. Sans parler de la basse, noueuse comme un lierre grimpant, de Richard Sinclair, excellent chanteur qui plus est. Ce qui rend ces quelques disques si précieux pourrait tenir à cet art du songwriting, entre pop gentiment absurde – surréaliste – et envolées jazz, toujours sous contrôle. Mais ce n’est pas ça. Enfin pas que ça. 

Flashback.

Sur Bells, Boots & Shambles, troisième album du groupe anglais Spirogyra, Barbara Gaskin ne chante pas comme toutes les chanteuses folks. Sa voix est empreinte de féérie. Moins maniérée, elle va à l’essentiel. Et c’est heureux car elle emmène avec elle les sept chansons dans un ailleurs, presque canterburrien, du moins annonciateur de la suite. Ajoutons en préambule que ce troisième effort, sorti en 1973, mérite amplement d’être qualifié ainsi : la diversité instrumentale l’éloigne du folk embryonnaire des débuts. Si The Furthest Point démarre en tension, avec cette trompette inattendue, la voix trafiquée de Martin Cockerham, c’est pour mieux explorer d’autres voies dont celle, droite et touchante de Barbara Gaskin. C’est d’ailleurs elle qui illumine ce très beau disque dont on ne soupçonnait ni l’existence ni la force. Comme Old Boot Wine dont la légèreté apparente peine à masquer la profonde tristesse, même si Barbara Gaskin fait tout pour maintenir le vaisseau à flot. Parallel Lines Never Seperate offre à Cockerham, vocaliste acrobatique à la tonalité alcoolique, une seconde chance. On y entend en toile de fond ce si joli timbre qui avait transfiguré les précédents morceaux. Non, Parallel Lines Never Seperate bascule au bout de deux minutes et quelques et le morceau en compte cinq. Barbara y fait des merveilles, rejointe par Martin, provisoirement neutralisé. Ce qui permet de dire à quel point le songwriting brille par sa délicatesse et son ancestrale beauté. Spiggly est une courte vignette cousue de fil d’or, celui d’une flûte sans doute irlandaise, et portée haut par Barbara. Avec la tendre ballade An Everyday Consumption Song, notre chanteuse poursuit dans son style si particulier, sorte de cristal qui abriterait le vibrato d’un enfant. La chanson semble, un moment, perturbée par des cloches mais c’est un piano vengeur qui la délivre. Barbara et ce piano, c’est l’aube habillée de blanc, perlée de rosée. Interprété par Martin Cockerham, The Sergant Says renvoie à un bon vieux Dylan, éventé comme un whisky. La longue suite In The Western World donne la pleine mesure du talent de Spirogyra et de Barbara que nous allons vitre retrouver dans les deux Hatfield & The North et sur le dernier album de Egg (Prelude). Les jeunes musiciens en vue ne s’y sont pas trompés lorsqu’ils ont décidé d’en faire un pilier des Northettes, ce chœur au féminin ! In The Western World est donc un morceau épique, formidablement mélodique, qui ne faiblit jamais, même quand il se rapproche de ses origines. Comme il se doit, Cockerham tente une percée, sa voix nasillarde menaçant de briser l’équilibre parfait. Mais Gaskin reprend la main. Certes, sa contribution se limite aux chœurs au moment du final mais arrive à égaler en intensité le cor tolkienien. D’ailleurs sur la pochette, Barbara a des allures d’elfe effacé, pensif. 

Flashforward.

Avec Amanda Parsons et Ann Rosenthal, Barbara Gaskin va contribuer au son de Hatfield. Que serait Son Of "There's No Place Like Homerton" sans elles ? Idem pour Fetter Stoke Has A Bath et Mumphs. Leurs voix sont telles les anges de Raphaël. On sent bien que la jeune chanteuse a tiré profit de ses années folks. Qu’elle a conservé des inflexions vocales quasi irréelles qui donneront aux morceaux chantés de Hatfield une rare profondeur, une splendeur cristalline. Après son court passage chez Egg, notre chanteuse inaugure une longue contribution discographique, avec l’organiste du groupe, sous le nom Gaskin & Stewart sans jamais se couper de ses secondes racines canterburiennes. On la voit ainsi aux côtés de Peter Blegvad, Phil Miller, Mont Campbell. Alors ne remisons pas le passé, et surtout celui de Barbara Gaskin au sein de Spirogyra, éphémère formation marquée en cette année 1973 par les cloches, les bottes et les paillettes. Nous aussi, depuis. 

Spirogyra, Bells, Boots & Shambles (Polydor)

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https://www.youtube.com/watch?v=W0gbhjJNJ9Q

 

 

 

 

 

 


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