Lemon Twigs, all the young dudes

par Adehoum Arbane  le 07.09.2020  dans la catégorie A new disque in town

Même en 2020, l’Amérique demeure une Nation jeune. Et ce, malgré les vieux dirigeants qui prétendent la diriger. Deux-cent quarante-quatre ans, c’est beaucoup et peu à la fois. Voilà pourquoi les américains n’ont aucun mal à revisiter leur Histoire, contrairement aux injonctions contemporaines qui n’ont de cesse de réécrire le passé, quand celui-ci n’est pas tout bonnement censuré. En témoigne le succès du western au cinéma dont les multiples incarnations peuplent nos écrans, petits et grands. Cette salutaire survivance peut être vue comme une réponse fière, tête haute, au déboulonnement du statuaire américain. Mais aussi comme une foi profonde dans le passé, toujours bien présent. 

La musique populaire n’échappe pas à ce constat, réjouissant au demeurant. Au pays de l’oncle Sam, même lorsqu’il arbore la mèche blonde, on écoute sans problème les vieux standards comme les nouveaux hits, que l’on soit jeune ou vieux. Aucun jugement ne vient entamer l’enthousiasme du peuple américain. Ce qui explique que, là-bas, l’Americana ait toujours le vent en poupe, que la Country Music ne soit jamais perçue comme un truc ringard. Ce sont des genres vivants, populaires voire prisés qui ont leurs héros du quotidien, et même leur aristocratie (Springsteen et Dylan). Même sur Internet, dominé par les réseaux sociaux et les chaînes de Streaming, on découvre de jeunes rappeurs réagir à chaud et fondre littéralement à l’écoute de Jolene de Dolly Parton. Comme si les américains voyageaient dans une Dolorean, confondant ainsi dans un joyeux bordel passé, présent, futur. Les Lemon Twigs s’inscrivent dans cette tendance. Depuis leur premier album sorti en 2016, nos deux young dudes ne se privent pas de regarder derrière eux, de farfouiller dans la malle aux trésors pop, dont l’âge d’or remonte pourtant à une époque antique – les sixties, seventies – pour écrire leurs chansons. 

Plusieurs arguments à cela ! Nos jeunes garçonnets sont des enfants de la balle. Brian et Michael D’Addario ont commencé leur carrière artistique à Broadway, comme acteurs. Ce qui explique sans aucun doute leur goût prononcé pour la théâtralité et le baroque. Tout dans leur musique scintille comme une annonce de comédie musicale. Deuxièmement, leur père Ronnie D’Addario a lui aussi connu une trajectoire pop à la toute fin des années 70, gravant une bonne trentaine de chansons, rééditées depuis. Pas rancunier face à l’insuccès, il accompagne désormais ses fils lors des sessions d’enregistrement. La troisième raison est générationnelle : Brian et Michael ont grandi avec Internet. Cette corne d’abondance digitale a ouvert la porte d’un royaume pas tant méconnu mais surtout sans limite. A l’heure du streaming et du mp3, autant dire que plus rien, pas même la plus petite pochade pop, n’échappe aux radars de la Génération Z.

Dans un tel contexte, il n’est donc pas étonnant que Songs for the General Public soit truffé de références, antédiluviennes pour certains, magiques pour d’autres. Fort heureusement, elles sont ici parfaitement assimilées de telle sorte qu’on ne songe pas, comme certains l’ont dit et écrit, à Bowie, Bolan ou Elton mais aux Lemon Twigs. Le seul artiste auquel on pourrait les rattacher pour ce mimétisme musical et presque physique reste Todd Rundgren. Logique, on le retrouve dans certaines des meilleures chansons de leur précédent album. Ce qui fait la différence s’agissant des Twigs par rapport au Vulgum Popus, c’est l’écriture. Seuls ou à deux, Brian et Michael ont le don de trousser des mélodies imparables que l’on retient d’emblée ; croyez-moi, c’est rare ! Leur jeunesse, leur impétuosité leur font sauter sans problème toutes les barrières morales (la nostalgie, c’est mal), les injonctions contemporaines (être de son temps) que l’on a dressé devant eux. Ils le font avec génie et de manière plus ramassée que sur Go To School – douze chansons contre seize. La première face est impeccable. Elle démarre dans l’évidence avec Hell on Wheels. Michael y chante de façon bestiale, et sa folie se prête formidablement bien au refrain radio-iconique. Brian lui emboîte le pas avec le tendre et vif Live in Favor of Tomorrow. Une merveille ! Que n’y avions-nous déjà pensé ! No One Holds You (Closer Than The One You Haven't Met) prend le relais sans jamais décliner. Synthés pimpants, piano pop, chœurs à gogo en constituent les principaux ingrédients. Dans l’écriture on ne peut le certifier, mais dans l’interprétation les frères D’Addario semblent s’être réparti les rôles. À Michael les compositions clairement rock et déjantées, à Brian les titres les plus primesautiers et romantiques. Fight penche du premier côté, même s’il ne se départi pas d’un velours plus universel que velvetien. Somebody Loving You a tous les apparats des hymnes stadium sans être gonflé à l’hélium : l’apparente légèreté cache une structure complexe, entre le couplet et le refrain, transcendée par une production fastueuse. Moon referme cette face sur des accents presque dissonants. Là encore, le refrain emporte tout. Qui peut en dire autant ? 

Face B. Le premier single qui annonça l’arrivée d’un troisième album (The One), ouvre le grand bal de fin d’année en écrasant littéralement la concurrence (le solo de guitare). Les Carrie c’est nous ! La suite explore des territoires moins balisés, du moins la splendeur mélodique – qui ne disparait pas – fait-elle place à un sens de la recherche et à une prise de risque de chaque instant et qui étaient les maîtres-mots des 60s-70s. Only a Fool lorgne clairement vers le Todd des années 72-73. Hog a des allures de slow de Prom Night. Why Do Lovers Own Each Other? calme le – grand – jeu avec son côté berceuse. Il ne faut pas plus de trois minutes à l’énergique Leather Together pour assurer la transition avec le dernier titre. On pourrait dire que leur musique un brin rococo (Do Lovers Own Each Other?) manque d’authenticité ce à quoi on répondra qu’il est rare qu’une chanson atteigne non pas un tel niveau – le terme renvoyant à des considérations techniques – mais un stade où la sincérité immédiate l’emporte sur la construction académique. Les Twigs ont déjà approché cet état avec Home of a Heart (The Woods) et, ici, avec le sublime Ashamed. Ce final ouvre des perspectives pour ces singer-songwriters qui ont le temps devant eux ! 

Enfin, au-delà du simple cas des Lemon Twigs, l’Amérique impose depuis une vingtaine d’années sa suprématie sur le monde de la pop, au regard de son frère ennemi, la Grande-Bretagne d’où le mouvement démarra – le jour où les Beatles signèrent pour Parlophone. L’inversion de tendance aurait commencé avec les Shins – d’aucuns viendront avec d’autres exemples –, puis a été entériné avec le succès planétaire de MGMT. Ont suivi juste derrière Foxygen et Ariel Pink (sous son nom seul) et les Lemon Twigs donc. Ces douze chansons, entre héritage et réinvention, sont parées de la promesse du titre qui prétend les offrir au Public en général, au monde entier donc. Contrairement à ce que l’on pense, la supériorité n’interdit pas l’élégance, la finesse et l’exubérance comme en témoigne Songs for the General Public. Et dire qu’ils ont encore des wagons entiers de chansons. Fortiches, les deux brindilles ! 

The Lemon Twigs, Songs for the General Public (4AD)

the-lemon-twigs.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/152555402

 

 

 

 

 

 


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