The Fish rising ?

par Adehoum Arbane  le 21.07.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

Le chef-d’œuvre indépassable. La phrase claque comme l’étendard états-unien. L’expression n’est pas aussi innocente qu’elle n’y parait. Elle dit autre chose : qu’il est parfois impossible de réitérer un premier exploit, surtout quelques années après, quand l’inspiration fraîche des débuts s’est alors fanée. Country Joe & The Fish a eu l’audace – on pèsera le mot – voire même l’outrecuidance d’écrire et d’enregistrement consécutivement deux chefs-d’œuvre en cette féconde année 67 où le Summer Of Love battait son plein, avec le psychédélisme acide comme porte-voix. Geste artistique sans commune mesure et qui devait en même temps marquer un coup d’arrêt dans la carrière du groupe. L’Histoire, tout comme l’inspiration tarie, se sera arrêtée là. En effet, si Together propose en 68 de très beaux moments psyché, Here We Are Again déçoit. En 1970, le psychédélisme n’est plus qu’un vieux souvenir, ses héros ayant retrouvé leurs racines folk et country. Ce que fera d’ailleurs Country Joe McDonald en solo. Par ailleurs, de la formation originale, il ne reste plus que Joe et Barry Melton, certes guitariste singulier dans le paysage san franciscain et pivot sonore du groupe. Malgré ces changements et l’avenir qui se dessine individuellement, le Fish a le temps de livrer un dernier album.

Sur le sobrement intitulé CJ Fish, il ne reste plus grand-chose du psychédélisme inquiétant des deux premiers disques. Exit le farfisa diamantaire et rampant comme une mauvaise fièvre qui traversait des morceaux comme Section 43 ou Pat's Song. De prime abord, l’album sonne comme une production typique du début des 70s. Plus ordonné, proposant, en plus de la guitare et de l’orgue, du piano. De même, il convient de laisser de côté les quelques morceaux classiquement rock. Non qu’ils n’aient pas leurs qualités, loin s’en faut, mais ils ne constituent pas l’or de ce cinquième Lp du Fish. Sing Sing Sing ou encore Hang On, Hey Bobby, Rockin' Round The World (qui rappelle la mélodie de Superbird) ou Hand Of Man en font partie. Penchons-nous sur le reste mais avant cela, deux précisions utiles à rappeler. Joe McDonald occupe un rang particulier parmi les singer-songwriters américains. On lui doit quelques-unes des plus belles chansons de la pop californienne et il ne démérite pas ici. C’est de plus un chanteur remarquable au timbre chaud, à l’interprétation émouvante. Souvenez-vous avec quelle tendresse il chantait ces chansons d’amour pour Grace, Janis ou la fameuse Pat. Joe a toujours été un chanteur romantique et une fois n’est coutume, il nous apparait ainsi sur le très beau Mara. Sentiment identique, dans un autre registre, sur The Baby Song où il nous emporte tel un chaman. 

La deuxième qualité du disque, et non des moindres, tient dans le jeu de guitare de Barry Melton. Apaisé, il part dans des envolées qui sont autant de paysages reconnaissables entre mille, ceux de la baie de San Francisco, ces images du Golden Gate perçant le tapis nuageux sous un ciel d’un bleu limpide qui doit autant à celui de Klein. She's A Bird est le premier morceau – le deuxième du disque – à dévoiler cet aspect du son de Melton qu’on entrevoyait déjà sur Thought Dream (I-Feel-Like-I'm-Fixin'-To-Die). La guitare nous donne l’impression de voler avec les mouettes, de partir à l’aventure. Sur la face B, Silver And Gold se charge de prolonger cette délicieuse impression de lévitation, la guitare de Melton surgissant comme ça, sans crisser gare, sublime, languide, aussi cristalline qu’une cloche de temple tibétain. Un très beau moment du San Francisco Sound. Composé par Melton, The Love Machine explore un registre presque funky blues, sauf quand le morceau explose dans une cavalcade acide totalement jouissive. The Return Of Sweet Lorraine répond magnifiquement à l’original dans une version planante qui n’aurait pas dépareillée ce Electric Music for the Mind & Body de si belle mémoire !

Comme le faisait remarquer un exégète du genre, si CJ Fish avait été écrit, enregistré et produit par un autre groupe, tout frais sorti de son moule, on aurait crié au chef-d’œuvre. On se contentera de verser une larme à la gloire passée de Country Joe & The Fish, en se disant que cet ultime chapitre valait le coup d’être lu avant de tourner la page. Il s’agit ainsi d’un baroud d’honneur, et autant dire que le mot « honneur » n’aura jamais été aussi bien traduit musicalement parlant. Joe, tu peux dire que le Barry est réussi. 

Country Joe & The Fish, CJ Fish (Vanguard)

fish-cover.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/325222

 

 

 

 

 


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