Logan Ledger, sirènes du passé ?

par Adehoum Arbane  le 14.07.2020  dans la catégorie A new disque in town

Ce qui est bien, voire pratique, avec la Country, c’est qu’elle sonnera toujours de la même manière. Que l’on remonte le long fleuve du temps jusqu’au XIXème siècle, ou que l’on s’arrête avant, dans les années 1920, 1950 – avec l’apparition de la pedal steel guitar –, ou même en 1968 lorsque les Byrds gravent Sweetheart Of The Rodeo, rien n’y change. Constat identique pour le jazz, quoique le genre aura tout de même connu de nombreuses révolutions : passer du style Big Bands – ou Brass Bands –, au Bebop, Hard Bop, jazz modal et à la fusion ne fut pas une mince affaire. M’enfin, un groupe de jazz peut aujourd’hui tranquillement jouer "à l’ancienne" sans être aussitôt taxer de réactionnaire. 

L’injonction à la modernité est une impasse. Épuisante d’abord – l’argument est faible –, elle s’avère très vite sournoise. Bien souvent, l’idée est bien de déconstruire, voire de solder le passé, son Histoire, ses moindres références. Il faut regarder devant, quitte à oublier ce qui a été bâti. Voilà ce qui nourrit aujourd’hui la bête progressiste. La musique n’échappe hélas pas à cette facilité – une lâcheté en vérité. Drôle de constat lorsque l’on songe que bien des groupes contemporains puisent dans le passé de la pop leur propre inspiration. Qui a-t-il de moderne à vouloir décliner aujourd’hui les codes garage, psyché, new-wave, grunge, acid-house etc ? Comme nous l’avons dit, la Country Music est à ce point balisée que sortir de ses codes vous conduirait dès lors à quitter – donc trahir – le genre. C’est le sage enseignement qu’a sans doute fait Logan Ledger en son for intérieur lorsqu’il a commencé à poser les bases de son premier album en 2019. La première des précautions, c’est de savoir si on a un nombre suffisant de chansons, allez dix au moins, et si, bien sûr, ces chansons sont bonnes. Verdict ? 

Mais avant de répondre, précisons ceci : Ledger s’est autorisé une fantaisie, un caprice. Commencer l’album par un morceau lent mais dont le titre semble suffisamment captivant pour inviter l’auditeur à poursuivre. Let The Mermaids Flirt With Me – inutile de traduire – n’a rien à voir avec le vieux blues de Mississipi John Hurt à ceci près que la version de Ledger raconte aussi une histoire. Celle-ci parle de mort, bien sûr, avec des accents ophéliens, ce qui étonne. Non, la vraie rupture de ce disque, c’est d’avoir placé son single, Starlight, en deuxième position. Avec son riff aussi entêtant que séduisant, Starlight a tout de la chanson d’ouverture idéale. De celles que l’on retient à l’évidence, que l’on murmure quels que soient le lieu et l’heure. Invisible Blue lui succède avec ce je ne sais rien de Chris Isaakien (Wicked Game). I Don't Dream Anymore démarrerait presque comme un morceau de rock psyché san franciscain. Il y a dans ce morceau une très belle énergie qui vient rompre le calme ordonnancement de l’album. Nobody Knows referme cette première partie sur des ambiances spectrales. Il y a souvent dans les musiques anciennes, comme le blues et la country, un penchant pour la démonologie, les pactes faustiens, les nuits de pleine-lune. 

Pour changer, la face b se fait plus vigoureuse dans ses débuts, comme avec (I'm Gonna Get Over This) Some Day. Puis vient Electric Fantasy qui porte foutrement bien son nom. C’est une cavalcade ombrageuse dont la mélodie, déjà familière, ne vous lâche plus des semelles, fussent-elles celles d’une paire de boots avec éperons.  Là encore, Ledger quitte les rivages du genre pour effleurer d’autres horizons presque Radioheadiens, osons le terme. Tell Me A Lie et Skip A Rope forment un couple plus rassurant après tant de folie. Si Tell Me A Lie sonne comme un Grandpa et Grandma partant dans un dernier tour de danse,  Skip A Rope retrouve une tonalité plus enjouée où la slide brille de mille éclats. En guise de grand final, l’album s’achève sur le magistral The Lights Of San Francisco et un Imagining Raindrops alangui par un capiteux soleil texan. 

Pour couronner le tout, tel un pied de nez à notre époque, Logan Ledger chante avec la voix d’Elvis, joue de la Gretsch comme personne et se paie le luxe de se faire shooter en noir et blanc, qui plus est en costume de cow-boy romantique, un brin hippie. Pas de quoi finir sur un compte Instagram et c’est heureux. La country est un pays, possède une âme qui lui est propre, a ses héros à l’image de Ledger. Pas une coquille vide. Sommes-nous en 1955, en 1968 ou en 2020 ? Peu importe, tant que les chansons sont là et elles le sont, dites-le-vous bien ! Ledger n’a de la légèreté que le nom. 

Logan Ledger, same title (Rounder Records)

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https://www.deezer.com/fr/album/138797072

 

 

 

 


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