Faith to Faces

par Adehoum Arbane  le 07.07.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

Nous sommes des millions à connaître par cœur les mots célèbres de maître Yoda adressés au jeune Luke au sujet de la force : « La vie l'a créée, l'a faite grandir. Son énergie nous entoure et nous relie. Nous sommes des êtres illuminés, pas une simple matière brute. » On pourrait aisément transposer le concept de Force à celui d’esprit, une forme de sensibilité cachée sous la matière brute de la musique rock. Surtout en ce début de décennie 70 qui assiste, médusé, après la séparation des Beatles, à l’explosion des Led Zep, Deep Purple et autres Black Sabbath dans un torrent de décibels. C’est aussi le temps de l’emphase, des opéra rock, des concerts dans les stades, du prog rock, des triples synthés. 

Au milieu de tout ça, les Faces ont tracé paisiblement leur route sans jamais dévier de leur ligne. Une musique que l’on pourrait qualifier de Good-Natured (bonne humeur) faisant la part belle au Back-to-basics. Formé sur les cendres encore fumantes des Small Faces, les Faces, donc, rassemblent les anciens, Ronnie Lane, Ian McLagan, Kenney Jones, auxquels s’ajoutent deux petits nouveaux : Rod Stewart et Ronnie Wood (futur Stones). Leur carrière fut courte mais au combien dense et passionnante. 1970 sort The First Step qui serait iconographiquement parlant l’équivalent du Beano Album de John Mayall & The Blues Breakers. Février 1971, c’est au tour de Long Player de faire connaissance avec le public, qui grossit à vue d’œil. La même année, le 17 novembre exactement, les Faces publient A Nod Is As Good As A Wink… To A Blind Horse. Plus court, ce troisième album est considéré comme leur meilleur. À dire vrai, tous sont d’égale qualité. Malgré tout, A Nod possède son lot de grands moments mais arrêtons-nous d’abord au titre. Littéralement, « un signe de tête est aussi bon qu’un clin d’œil à un cheval aveugle » pourrait se résumer à une certaine philosophie de la vie qui a imprégné la discographie des Faces. Pas besoin de longs discours, le feeling de la musique fera le reste. Feeling ou frisson, tel est le premier mot qui nous viendrait en tête à l’écoute de ces neuf chansons, simples en apparence. 

Il y a bien sûr de l’énergie chez les Faces. Indubitablement. Qu’elle soit droite et tendue sur le morceau d’ouverture, Miss Judy's Farm, ou plus laid-back sur You're So Rude, composée et chantée par Ronnie Lane. On y trouve aussi de la générosité, en témoignent Last Orders Please et Stay With Me. Pas ingrats pour deux shillings, les Faces savent aussi rendre hommage aux vieilles gloires du blues et du rock’n’roll, ici la reprise très cool de Chuck Berry, Memphis. Too Bad et le bien nommé That's All You Need nous rappellent que le rock se taille toujours dans la roche la plus pure et la plus solide. Sur That's All You Need, les Faces prouvent qu’ils sont au moins aussi bons et violents que les Stones, voire même plus. Sur disque comme sur scène. D’ailleurs, regardons-les on stage ! Du moins sur le recto de la pochette du disque. On se croirait à une messe gospel : le groupe débraillé, la foule en liesse ! Il y a quelque chose de religieux et de picaresque à la fois dans leur attitude que l’on retrouve aussi dans leurs chansons. Mais pas que.

Tournez donc le vinyle. Au verso, on voit le même groupe, transformé en poupées de chiffon. Derrière, le fameux Blind Horse semble plus claudiquer que galoper. Sans doute sort-il de l’une de ces murges légendaires que le groupe affectionnait tant. Cette image-là révèle, vous me pardonnerez le double jeu de mots, une autre face des Faces. Une forme d’émotion si particulière, une douceur un peu rêche, comme si nous serrions contre nos cœurs d’enfants devenus adultes, un bon vieux doudou élimé. Love Lives Here et surtout Debris, donnent cette heureuse impression. Ce sont des ballades gorgées de soul. Sur la première la voix de Rod se fait rauque et enveloppante. L’orgue joue les feux de cheminée : on a envie de s’en approcher. À la cinquantième seconde de la première minutes – et la chanson en compte seulement trois ! – on entend un clavecin, oui un clavecin chez les Faces !!! Petit miracle de l’existence, moment de bonheur fugace comme il en existe peu. Quant à Debris, c’est tout simplement l’une des plus belles chansons au monde. De l’intro hésitante, jouée à la guitare acoustique puis à l’électrique, jusqu’à la toute fin, on ressort de Debris terrassé, en larmes. Tiens, ce faux ami francisé n’a jamais aussi bien retranscrit cet état. Les Debris étaient en fait ces échoppes où les anglais vendaient des objets de seconde main. La chanson parle du père de Ronnie Lane. Vous me direz patriarcat, masculinisme, on répondra, en levant les yeux au ciel, amour filial, respect et complicité. 

Dans chaque album des Faces, se niche une chanson de cet acabit : Devotion, Nobody Knows sur le premier, Sweet Lady Mary, Richmond sur Long Player, If I'm On The Late Side, Glad And Sorry et Ooh La La… sur Ooh La La ! Des chansons donnant raison à maître Yoda. Il faut réécouter ce disque et tous les autres. Il faut aussi s’obliger à plonger éperdument dans la discographie de Rod Stewart, de An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down à Never A Dull Moment en s’arrêtant un long moment sur Every Picture Tells A Story. Les Faces y jouent, ceci expliquant cela. Allez, on n’insistera pas plus. Un signe de tête est… Enfin, vous aurez compris. 

The Faces, A Nod Is As Good As A Wink… To A Blind Horse (Warner)

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